Immigrants - Le cas algérien

Peu traité dans les MSM, voici une présentation de la situation des migrants en Afrique du Nord. Cet article abordera le cas plus spécifique de la situation algérienne face aux immigrants. La question qui peut se poser immédiatement c'est le pourquoi de l'usage de ce mot « immigrant » plutôt que les autres. On pourrait se contenter de la définition du Larousse : « Personne qui immigre dans un pays étranger », mais comme dirait Murielle Robin « ils n'se sont pas foulés ! ». A l'été 2015 il n'y a pas eu un seul journal qui ne se soit pas fendu de son article sur la guerre des mots : clandestins, réfugiés, migrants, envahisseurs... Le HCR, les intellectuels de tout bord, les politiques, tout le monde y est allé de sa réflexion personnelle. Je vais donc garder ici le terme d'immigrant car il englobe toutes les situations (celle du migrant – personne qui quitte son territoire pour de meilleures conditions de vie, d'éducation ou autre, celle du réfugié qu'il fuit un conflit armé ou la destruction de son environnement, celle d'immigré légal ou illégal). Pour qualifier une personne de telle ou telle façon il faut pouvoir définir qu'elle est sa situation personnelle, que fuit-il, pourquoi, quelle est sa destination, est-ce temporaire ou durable, autant de questions auxquelles il nous est impossible de répondre (la grande difficulté avec des personnes qui n'on aucun document authentifiant leur identité). Si le terme de « migrant » a remporté le grand concours international du flou artistique 2015-2016 c'est, d'une part en raison de ce déplacement de population exceptionnel (à l'échelle du continent européen du mois, pas unique non plus dans l'Histoire, mais nous sommes en plein dedans, et n'en sommes qu'au début) qui en a fait LE sujet et d'autre part parce que nous parlons de personnes arrivant d'un peu partout (Afrique du Nord, Afrique de l'Est, Afrique centrale, Afrique de l'Ouest, Moyen-Orient, sous-continent Indien, etc.) comme si ces personnes ne venaient en réalité... de nulle part et dont la destination finale était tout aussi mystérieuse. Si les syriens/irakiens fuyant le conflit dans leurs pays ont bien une destination privilégiée (l'Allemagne), pour d'autres nationalités, et pour la route méditéranéenne c'est beaucoup plus complexe. Il assimile donc des situations très différentes : l'origine géographique, la raison du départ (économique, fuite d'un conflit armé, oppression politique, persécution religieuse ou ethnique, criminels en fuite parfois comme dans le cas de l'attentat de Berlin le démontre, etc.) et les destinations. A l'heure où les mots sont torturés pour ne plus désigner que des concepts, il est devenu important de rappeler que ces personnes – précisément, ne les amalgamons pas ! - ne viennent justement pas de nulle part. « Immigrant » recouvre dans sa forme gérondive (à double-sens verbale et adbverbiale), nominative ou adjective l'ensemble et désigne donc l'état d'une personne dont l'origine et la destination n'a pas pu encore être établie et/ou communiquée. Ce n'est que par la suite que la personne peut être qualifiée de « réfugié », de « demandeur d'asile », « d'immigré régularisé », etc. Exemple : nous voyons des images de personnes vivant dans un abris de fortune mais ignorons si cet abris est temporaire, si le pays où ils sont est celui dans lequel ils voulaient aller, s'ils sont là depuis hier ou des années … c'est un choix qui prend donc en compte en considération le fait que par défaut nous ignorons tout et également le fait qu'ils sont donc, par défaut, en cours et en état d'immigration. Il prend en considération le point de vue du pays accueillant temporairement ou durablement (c'est un point de vue, oui, précisément). Et enfin, ne perdons pas de vue que nous parlons de personnes. Longue parenthèse refermée. Si, s'agissant des immigrants venus d'Afrique, il est très souvent question d'Europe et de la route passant par la Libye en ruine, il n'est que rarement évoqué les autres voies et destinations et notamment le sort peu enviable des immigrants dans certains pays qui doivent eux-aussi gérer une situation complexe, situation qui est mondiale. Nous avons tendance à voir les pays du Maghreb comme uniquement des points de passage et de départ mais, ce n'est pas tout à fait la réalité concernant l'Algérie. Quelle est donc la situation algérienne ? Il y a plus de 100 000 immigrants (1) subsahariens qui vivent en Algérie dans des conditions souvent déplorables voire inhumaines selon Leila Berratto, journaliste à RFI et qui travaille depuis 2 ans sur cette question. D'où viennent-ils et pourquoi ? Mali, Niger, Cameroun, Tchad, Guinée, Libéria... bref d'Afrique de l'ouest et centrale majoritairement, certains pour des raisons économiques, d'autres pour des raisons politiques. D'autres encore fuient leur pays en raison des conflits armés. Pourquoi l'Algérie en particulier ? Parce que ce pays « offre », malgré les très difficiles conditions de vie de ces immigrants, une possibilité de travailler, travail qui ressemble plus à de l'exploitation pure et simple mais c'est pour eux le choix du moins pire. Les hôpitaux algériens ne refoulent pas une femme sur le point d'accoucher ni un patient sans papier, du moins légalement parlant. Parce que ce pays est également sur la route pour se rendre en Europe via le Maroc ou directement depuis les côtes algériennes. Si on compare par rapport à la situation, justement, du Maroc, ce dernier est davantage un pays de transit vers l'Europe même s'il tend aussi à devenir un pays d'accueil avec 18 000 immigrants devenus des immigrés régularisés sur près de 27 000 demandeurs d'asile présents entre 2014 et 2015 (2). Mais les assauts sur les enclaves espagnoles restent fréquentes et parfois d'une extrême violence comme celle du 1er janvier dernier où c'est un millier de subsahariens qui ont tenté le passage en force. La Tunisie quant à elle, outre l'émigration de sa propre population, apparaît surtout comme un pays de transit entre Afrique subsaharienne et Europe. Enfin la Libye est un cas à part. Fabrice Leggeri (directeur de l'agence Frontex) indiquait en juin 2016 que « 85% des cas [concernant la route méditerranéenne] viennent de Libye », même si de nouvelles routes ont été ouvertes par l'Egypte.(3). Pour donner une estimation du phénomène libyen sur 2016, les chiffres de Bruxelles sont de plus de "173 000 arrivées de migrants ayant emprunté la Méditerranée via les côtes libyenne enregistrés, dont presque 59 000 de ressortissants du Nigeria, du Niger, d'Éthiopie, du Sénégal et du Mali".(4) En septembre 2015, Le Point rapportait que : « le général de corps d'armée, Christophe Gomart, patron de la DRM (Direction du renseignement militaire), a récemment indiqué que 800.000 à un million de migrants et réfugiés se trouvaient actuellement en Libye en vue de gagner l'Europe. Un chiffre établi par les équipes de renseignement à partir d'une multitude de capteurs (interceptions, satellites, sources ouvertes, cybersurveillance, etc.), a-t-il détaillé lors du colloque Geoint. » Comment se passe la cohabitation ? Difficile à dire. Les témoignages d'immigrants sont parfois à charge. D'un autre côté les algériens dénoncent des agressions et l'année 2016 été marquée par un certain nombre d'événements graves. Voici une interview de Leila Berrato déjà citée plus haut dans l'émission « 19h info » qui donne une vision contrastée (peut-être trop) de la situation : Reste que dans les faits, plusieurs heurts et drames ont eu lieu. En mars 2016, à Ouargla, 18 immigrés ont péris brûlés vifs dans un camp. L'incendie survenu à l'aube a été qualifié d'accidentel. Les conditions de salubrité de ce camp et du logement des immigrants en général Algérie ne valent pas mieux que celles des trottoirs parisiens ou de Calais. A Béchar (ouest du pays), des émeutes raciales ont éclaté contre ces mêmes immigrants. Selon l'avocat Me Salah Dabouze, président d'une aile de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme, plusieurs dizaines d'immigrants, environ une quarantaine, ont été blessés dans le quartier appelé « OPGI ». Toujours selon lui, des citoyens se sont dirigés vers ledit quartier pour attaquer les migrants, citoyens manipulés par les autorités qui seraient derrière ces violences pour contraindre les migrants à regagner leurs pays. « Ce sont des baltaguias du pouvoir, les autorités étant incapables d'appliquer les conventions qu'elles ont ratifiées et de tenir leur engagement à l'égard des migrants » A Tamanrasset (plein sud) des rixes violentes ont éclaté à l'été 2016. A Dély Brahim (quartier d'Alger), encore des violences en novembre 2016 entre habitants et immigrés. Suite aux événements de Tamanrasset, 400 maliens ont été rapatriés toujours sur la base du départ volontaire selon les autorités algériennes. Les raisons de ces explosions de violence ? Des agressions supposées ou réelles d'immigrants sur des algériens. Ces affrontement démontrent une situation de tension réelle. Comment réagi le pouvoir algérien face à cette situation ? Officiellement (Mme Benhabylès) les autorités affirment proscrire tout rapatriement d'immigrés installés sur leur territoire « tant que la stabilité n'est pas rétablie dans leur pays ». L'Algérie a un accord (un seul) de rapatriement d'immigrés dans leur pays d'origine et c'est avec le Niger (signé en 2014). Avec le Niger donc la coopération semble se dérouler correctement même si l'envoi d'immigrants vers Tamanrasset (au sud du pays) est fortement critiqué par un certain nombre d'observateur qui parlent de « rafles ». Des milliers d'immigrants vivent cachés en Algérie par peur d'être arrêtés à tout moment. Selon le ministre de l'intérieur nigérien, plus de 17.000 immigrants clandestins nigériens ont été jusqu'à présent rapatriés. Des départs « volontaires », précisa-t-il le ministre pour 17.016 ressortissants nigériens, 580 Tchadiens et 550 Maliens en l'espace de deux ans. (6) Qu'en est-il de la lutte contre l'émigration clandestine depuis l'Algérie ? Très récemment, hier même, 12 immigrés ont été interceptés par les garde-côtes au large d'Oran (5 Camerounais dont 2 femmes, 1 Guinéen, 2 Maliens, 1Gabonais, 1 Togolaise, 1 Mauritanien et 1 Béninois). La semaine dernière, les forces navales algériennes de la façade maritime ouest ont intercepté 85 harraga (immigrants cherchant à rejoindre l'Andalousie et l'Europe plus généralement) répartis sur plusieurs embarcations.(7). Un phénomène, en 2016, dont l'ampleur est jugée « alarmante » par le Quotidien d'Oran avec « des dizaines de tentatives d'émigration clandestine avortées et 761 candidats à l'émigration clandestine arrêtés, à l'ouest du pays ». Et la société algérienne dans tout ça ? Certains observateurs dénoncent un racisme anti-noir largement sous-estimé dans la société algérienne. C'est en substance les propos de Abed Cheraf, journaliste. Mais difficile de sonder les cœurs des algériens. Ce qui est certain c'est la réalité de mouvements de population en cours et à venir est considérable. Abed Cheraf (8) parle d'1 million d'immigrés supplémentaires dans les dix prochaines années rien que pour l'Algérie. Nous ne sommes pas sur les mêmes chiffres que l'Allemagne qui, après une année 2015 sans précédent (1,1 million d'immigrants accueillis), a accueilli 260 000 immigrés en 2016. Ca n'en reste pas moins un défi pour l'Algérie, qui comme ses voisins, et comme de l'autre côté de la méditerranée sera confronté aux conséquences démographiques, climatiques, politiques et économiques de ses voisins du sud. Sources : (1) : Le Quotidien d'Oran : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5234288 (2) : Huffington Post : http://www.huffpostmaghreb.com/2016/10/20/maroc-migrants_n_12570774.html (3) : Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/international/2016/06/30/01003-20160630ARTFIG00011-migrants-les-departs-depuis-la-libye-repartent-en-forte-hausse.php (4) : Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/383979/societe/nombre-de-migrants-arrivant-libye-via-niger-a-diminue-de-pres-de-100-six-mois-selon-lue/ (5) : RFI.fr : http://www.rfi.fr/afrique/20161206-algerie-incomprehension-apres-rafles-migrants-capitale (6) : Le Quotidien d'Oran : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5235233 (7) : El Watan : http://www.elwatan.com/-00-00-0000-336404_135.php (8) : http://afrique.le360.ma/algerie/societe/2016/12/07/8122-algerie-un-racisme-anti-africain-se-banalise-avec-la-complicite-de-letat-8122
Voir en ligne : http://www.agoravox.tv/IMG/jpg/leila-berrato-algerie.jpg

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