Discours de Macron devant les Ambassadeurs : interview de Michel Raimbaud

Le mardi 29 août 2017, durant la Semaine des ambassadeurs, Emmanuel Macron a détaillé les grandes lignes de ses orientations de politiques étrangères à venir devant le corps diplomatique.
Le Cercle des Volontaires a souhaité interroger Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur de France en Mauritanie, au Soudan, et au Zimbabwe ; il a également travaillé pour le Quai d’Orsay au Yémen et en Syrie. Il est l’auteur de l’ouvrage « Tempête sur le Grand Moyen Orient », sorti aux éditions Ellipses. Fin connaisseur du monde arabo-musulman et de l’Afrique, Michel Raimbaud a accepté de répondre à nos questions, et nous l’en remercions. Voici ses réflexions sur le discours d’Emmanuel Macron, à retrouver ici.
 
Cercle des Volontaires : En vue d’« assurer la sécurité de nos concitoyens », Emmanuel Macron a décrété « la lutte contre le terrorisme islamiste (…) première priorité de notre politique étrangère », tout en assumant « parfaitement l’emploi de cet adjectif ». À notre connaissance, c’est la première fois qu’un président français qualifie ainsi le terrorisme cible de son combat. Qu’en pensez-vous ?
Michel Raimbaud : Effectivement, Emmanuel Macron a souligné que la sécurité de la France et des Français constituait une priorité et qu’afin d’« assurer la sécurité de nos concitoyens » il faisait de « la lutte contre le terrorisme islamiste » « la première priorité de notre politique étrangère ». Ce n’est pas une surprise, mais la nouveauté, c’est qu’il désigne précisément le « terrorisme islamiste », insistant sur le fait qu’il « assume parfaitement l’emploi de cet adjectif ».
Plus précis dans son langage que dans sa pensée qu’il avait qualifiée récemment de « complexe », il rappelle la distinction souhaitable entre « islamique » et « islamiste » afin d’éviter à la fois l’angélisme (« nier le lien entre les actes terroristes que nous vivons et une lecture à la fois fondamentaliste et politique d’un certain islam ») et la diabolisation, sachant que l’amalgame est plutôt la règle lorsque la question des « millions de musulmans qui vivent en Europe » est évoquée dans « la rue » française, au café du commerce ou dans les salons où l’on cause. Il aurait pu préciser « en France », puisque c’est le pays dont il est le président, un pays où les musulmans sont particulièrement nombreux. En tout cas, jusque là rien à dire.
C’est par la suite que le bât blesse, lorsque Macron entre dans le concret, évoquant les « deux grandes zones (qui) concentrent aujourd’hui nos efforts dans la lutte contre ce terrorisme : la Syrie et l’Irak d’un côté, la Libye et le Sahel de l’autre ».
Mal informé ou volontairement aveugle, il ignore superbement le rôle actif, l’acharnement de la France dans le soutien politique, diplomatique, militaire, à toutes les forces impliquées dans l’agression contre l’Etat syrien sous le couvert des fameux « Amis de la Syrie » : de l’Armée syrienne libre et l’opposition armée aux groupes terroristes et djihadistes divers qui ont constitué le vivier et le terreau du Front al-Nosra, franchise syrienne d’Al-Qaïda, puis de Daesh, l’organisation parente et « dissidente » de la précédente. Il fait aussi l’impasse sur l’alliance étroite de la France avec les Etats parrains et commanditaires des groupes terroristes en Syrie (Turquie, Qatar, Arabie Saoudite), de même qu’il passe pudiquement sous silence le rôle majeur du camp occidental dans la guerre lancée contre la Syrie, comme précédemment contre l’Irak et la Libye.
Pour M. Macron, Daesh, à l’instar d’Al-Qaïda et des centaines de groupes terroristes qui sévissent en Syrie, a surgi du néant et « dès son extension en Syrie et en Irak, a commencé à planifier des attaques contre nos intérêts, contre nos vies, notre peuple ». Présenté ainsi, c’est totalement incompréhensible… Certes Daesh est notre ennemi, mais il eût été sage que la France prenne connaissance des circonstances de sa naissance et de son expansion, qu’elle ne soutienne pas comme elle l’a fait de facto « les gars d’Al Nosra, qui font du bon boulot en Syrie… ».
De même, il est extraordinaire qu’Emmanuel Macron parle de la Libye en évoquant sa situation qui « en a fait un refuge pour les terroristes », en faisant semblant d’ignorer le rôle central de la France dans l’intervention de l’OTAN, dans la destruction de la Jamahiriya et la liquidation de Kadhafi
« Aujourd’hui, le terrorisme et son financement se sont nourris des crises régionales et des divisions, des divisions en Afrique, et des divisions du monde musulman », estime le Président français qui n’est manifestement pas au fait de la genèse des évènements et conflits dont il parle. Ce qui augure mal de sa capacité d’intervention dans la recherche de solutions aux crises du monde arabo-musulman qui se sont nourries surtout des ingérences et de la capacité de nuisance des Occidentaux et de leurs suppôts islamistes.
 
CdV : Emmanuel Macron évoque le rôle de la France, qui doit « tenir son rang dans un ordre mondial profondément bousculé », sur la désescalade militaire en Syrie. Il avance qu’« en instaurant un dialogue exigeant avec les Turcs, les Iraniens et les Russes, nous avons pu faire avancer concrètement la situation ». Le départ du président syrien est désormais annoncé comme n’étant plus une priorité pour la France. Que pensez-vous de ce revirement vis-à-vis de la Syrie ?
M.R. : Le Président français affirme que « le retour de la paix et la stabilisation de l’Irak puis de la Syrie » sont « une priorité vitale pour la France ».
Tout d’abord, il y a cette arrogance de principe. Est-il du ressort de Macron et de la France en général de contribuer à enclencher, « en Syrie surtout, une transition politique » « inclusive, où les populations seront justement représentées » ? Les « amis » que le gouvernement français a soutenus depuis le début de la guerre, en général émigrés en Occident ou dans les pays du Golfe, payés et entretenus grassement par leurs sponsors, ne peuvent guère prétendre à cette représentation, eux qui ont plaidé dès le départ pour l’intervention étrangère et la destruction de leur pays… Quant à la France, quelle légitimité a-t-elle pour terminer une guerre dont elle a été l’un des allumeurs et l’un des soutiens actifs, et pour gagner la paix qu’elle a toujours tenté de saboter…
Certes, il fallait changer de méthode, et dans ce domaine, on a pu croire à plusieurs reprises qu’un infléchissement était en vue. Mais chaque avancée, fût-elle légère, a été compensée à bref délai par un recul au moins équivalent. Le départ du président syrien a été annoncé par Macron comme « n’étant plus une priorité pour la France », mais il l’est encore pour le ministre Le Driant, qui n’hésite pas à prendre le contre-pied de son patron, deux jours après la réunion des Ambassadeurs… Cela fait désordre. Quelle fiabilité accorder à de telles « avancées » ?
Nous investir dans la reconstruction de la Syrie et reconstruire la stabilité de la Syrie ? Après avoir contribué effectivement à sa déstabilisation et à sa destruction ? La France qui s’est mise hors du dossier par son approche injuste, immorale et irréaliste a-t-elle fait avancer concrètement la situation en instaurant avec les Turcs, les Iraniens et les Russes ce dialogue exigeant que mentionne M. Macron ? Celui-ci croit-il vraiment que sa simple apparition produit un effet miraculeux ?
Enfin, comme tout Occidental arrogant qui se respecte, le chef de l’Etat fixe des lignes rouges, en Syrie comme ailleurs. Ne lui demandez surtout pas de quel droit ? C’est le droit du plus fort, ce qui est déjà tout un programme, d’autant plus que la France est loin d’être la plus forte sur le théâtre syrien. Et les lignes rouges tracées à Paris sur l’utilisation des armes chimiques sont assez tremblotantes du côté des preuves et du droit.
Quant aux accès humanitaires dans les zones de conflit, ils seraient sûrement mieux accueillis s’ils n’avaient pas servi dans le passé aux groupes terroristes pour se refaire une santé. Et puis, honnêtement, Bachar Al Assad et ses alliés se soucient peu des lignes rouges, seraient-elles tracées par Jupiter lui-même. Après toutes les épreuves qu’elle a subies ces dernières années, la Syrie tremblerait-elle devant M. Macron ? Quant au groupe international de contact qui associe soi-disant les principaux acteurs engagés, à l’exclusion du gouvernement syrien, ne comptez pas trop sur lui et sur les efforts de Le Driant, obsédé comme feu Hollande et feu Fabius par le « départ de Bachar Al Assad ». Qui donc parviendra à expliquer aux dirigeants français que ce départ n’est plus à l’ordre du jour ?
Enfin, « la contribution de la France et de l’Europe » à « la reconstitution un jour d’un Etat de droit en Syrie » paraît hypothétique, tant ces  faux « amis de la Syrie » ont fait preuve de leur capacité de nuisance. Si la justice devait être rendue quant aux crimes commis, ce ne sont pas les dirigeants auxquels pense Macron qui devraient être interpellés. De nombreux pays ont participé à l’agression contre la Syrie : comment ne pas voir que leurs dirigeants ont parfois beaucoup de morts sur la conscience et de sang sur les mains ?
 
CdV : Dans son discours, le président français a utilisé l’expression « Nouvel Ordre Mondial ». D’après vous, que recouvre aujourd’hui cette expression, que d’aucun estime controversée ?
M.R. : L’ordre mondial qui est aujourd’hui remis en cause n’est pas l’ordre de la guerre froide qui n’existe plus depuis 1990/1991, suite à la chute de l’URSS et à la dissolution du bloc communiste. Ce qui est bousculé, c’est au contraire l’ordre du « moment unipolaire américain » qui a permis aux États-Unis d’imposer à la planète leur hégémonie sans partage durant une vingtaine d’années, de 1991 à 2011.
Pourquoi 2011 ? Parce qu’à mon sens c’est l’année où l’ordre américain a chancelé : en mars 2011, l’Amérique et ses trois compères de la « communauté internationale » réussissent à convaincre la Russie et la Chine de voter la résolution 1973 autorisant une intervention armée contre la Libye du Colonel Kadhafi. Neuf mois plus tard, Moscou et Pékin bloquent par un double véto le premier projet de résolution ciblant la Syrie… Finie l’ère du bon plaisir.
Emmanuel Macron n’a pas tort lorsqu’il se réfère à une « intense remise en cause des certitudes diplomatiques » et au « brouillage des lignes telles que le monde en connaît depuis vingt-cinq ou cinquante ans ». Mais cet ordre est déjà obsolète. L’hyper puissance d’un seul Etat n’existe plus.
L’objectif de « refonder un ordre collectif, stable et juste, avec nos alliés et tous nos partenaires » est largement partagé. Ce fut pendant plusieurs décennies l’honneur de la France et de sa diplomatie que de rester fidèle à l’héritage gaullien d’indépendance nationale, de coopération et de solidarité, d’ouverture et de dialogue. Cet héritage a été jeté aux orties avec le retour au bercail occidental, signifiant la sujétion à l’atlantisme, la complicité avec le sionisme, la reddition à l’européisme. Si, comme le disait Mitterrand, « la France est notre patrie, mais l’Europe notre avenir », à quoi bon se référer à l’indépendance déjà compromise, à la souveraineté déjà déléguée ou partagée ou oubliée, à l’influence mondiale si nos élites ne jurent plus que par l’Europe et ont intériorisé l’idée d’un statut d’Ohio ou de Montana pour la France européenne ?
Quant à la France sans arrogance, mais grande, on en rêve !
 
CdV : Il ressort du discours du président qu’il souhaite renforcer l’union économique et monétaire, mais aussi l’Europe de la défense. Par ailleurs, la présence de l’OTAN en Europe de l’Est, notamment en Pologne et dans les pays baltes, se fait toujours plus accrue. Comment ces deux tendances s’articulent-elles et selon vous sont-elles compatibles ?
M.R. : Tout d’abord, l’indépendance des souverainistes ne consiste pas « à se réfugier derrière des frontières hermétiques », mais d’abord à récupérer les souverainetés perdues dans tous les domaines, politique, économique, financier, monétaire, diplomatique, et à retrouver des fiertés oubliées. La France n’est pas un petit pays, ni même une puissance moyenne, mais une ex-grande puissance désorientée et qui ne croit plus beaucoup en elle-même, ayant pris de surcroît l’habitude de s’en remettre à l’Europe et de plus en plus à l’Amérique, dont l’Europe est le satellite et le fidèle serviteur.
Le lieu de la souveraineté française est-il aujourd’hui l’Europe ? Où se trouve le mandat donné par la peuple français pour faire de cette Europe le lieu de sa souveraineté ? Voilà que l’on nous ressort, comme jamais auparavant, le mythe du couple franco-allemand et tous les stéréotypes qui vont avec. Macron est à peine entré à l’Elysée que le voilà déjà en route pour Berlin. Est-ce qu’un tel empressement s’impose ? L’Europe allemande a de beaux jours devant elle.
Le nouveau président pense-t-il réconcilier les Français avec l’Europe, comme il le dit si bien, en proposant tout un agenda de protection tous azimuts, destiné à les protéger du monde, mais qui réduira encore la marge de manœuvre nationale, déjà réduite à la portion congrue ? Ou encore un redémarrage de l’Europe de la défense autour du tandem franco-allemand ? Loin de redonner une envie d’Europe aux Français, une bordée de nouvelles avancées risque fort de les gaver…
L’avancée de l’OTAN vers la Pologne et les Pays Baltes ne fait que confirmer le tropisme atlantique de ces pays issus de l’URSS ou du Pacte de Varsovie et qui ont une revanche à prendre sur l’histoire. Les Européens devraient le savoir : lorsque qu’étaient inscrites à l’ordre du jour l’admission dans l’OTAN et l’adhésion à l’Union Européenne les sondages d’opinion mettaient en lumière deux constats : une confusion certaine entre l’OTAN et l’UE et une priorité manifeste accordée à l’organisation Atlantique.
 
CdV : Tout en établissant une filiation avec les accords sous le quinquennat d’Hollande, Emmanuel Macron a rappelé que « près de 800 000 réfugiés et déplacés attendent aujourd’hui du côté libyen », y notant une « menace réelle » pour l’Europe. Il y a un mois, le 27 juillet 2017, à Orléans, le président annonçait la création de « hotspots » aux frontières des pays africains et notamment en Libye. Le 28 août 2017, la veille du discours et lors d’une rencontre avec les chefs d’état tchadien et nigérien, Emmanuel Macron a fait marche arrière sur ce point. Comment interprétez-vous cette série d’événements ?
M.R. : « La situation de la Libye en a fait un refuge pour les terroristes ». La description est lapidaire pour le président d’un pays, la France, qui est responsable au premier chef de la dite situation, suite à la destruction de l’Etat libyen.
Toujours impérieux et jupitérien, M. Macron a « décidé ainsi en juillet de réunir les deux principaux protagonistes de la crise : le Premier ministre Fayez Sarraj d’un côté, et le chef de l’armée nationale libyenne Khalifa Haftar de l’autre ». Une « feuille de route », c’est décidément la manie des apprentis maîtres du monde, a été mise au point et la rencontre a permis de faire avancer la réconciliation entre Libyens sous l’égide des Nations Unies. Véritable miracle, la réconciliation serait en marche et aurait « vocation à être plus inclusive encore », ce qui est la tarte à la crème de la méthode macronienne. Les objectifs sont ambitieux, depuis l’éradication des terroristes, la protection du Sahel et la protection des voisins de la Libye, à la mise en œuvre de l’accord d’Alger sur le Mali, etc…
Dans ce contexte, la question des réfugiés et déplacés n’est sans doute plus prioritaire dès lors qu’ils attendent du côté libyen. L’interprétation des avancées, des marches arrière, des annonces et des contre-annonces de « La République en Marche » est un exercice délicat dans lequel je ne m’engagerai pas aujourd’hui. Comment y voir clair dans ce qui reste le chaos libyen, créé par ceux-là mêmes qui prétendent y remettre de l’ordre.
 
CdV : Tout en décrétant vouloir parler à tous (« nous n’atteindrons notre objectif qu’à condition de ne pas […] nous enfermer dans un camp. Certains ont choisi, c’est une erreur. La force de notre diplomatie est de parler à tous »), Emmanuel Macron a eu des propos cinglants à l’encontre du régime de Nicolás Maduro, au Venezuela : « une dictature tente de survivre au prix d’une détresse humanitaire sans précédent, d’une radicalisation idéologique inquiétante, alors même que les ressources de ce pays restent considérables ». Que pensez-vous de cette prise de position ?
M.R. : Le Président sait-il de quoi il parle ? Comment peut-il affirmer que les Français partagent sa position sur « le régime qui se met en place au Venezuela », alors qu’il s’agit du gouvernement en place, cible d’une opération de déstabilisation similaire à celles qui ont affecté depuis 1990 les pays de l’ex-Yougoslavie, les pays arabes, l’Ukraine, mais aussi le Brésil de Lula et Dilma victime depuis deux ou trois ans d’un coup d’état constitutionnel inspiré et fomenté par les neocons, US ou brésiliens, avec l’appui des évangélistes, en plein essor au détriment de l’Eglise Catholique.
 
CdV : L’ancien ambassadeur Michel Duclos a eu ce commentaire : « Macron a bien réussi son entrée sur la scène internationale en termes de style, et en diplomatie, le style c’est important. Grâce à lui, la France est de nouveau audible ». Pourtant, les éléments de la question précédente, et la tournée désastreuse en Europe de l’Est (notamment l’incident diplomatique déclenché avec la Pologne suite à sa charge concernant le refus de Varsovie de durcir la directive sur le travail détaché dans l’UE) nous interrogent. Pouvez-vous nous donner votre avis ?
M.R. : Si l’intéressé veut avoir l’oreille de M. Macron lorsqu’il murmure à l’oreille présidentielle, il a tout intérêt à s’en tenir à ce style de commentaire. De là à dire que « la France est de nouveau audible » semble discutable sur le fond. Serrer les mains de « Bibi », broyer les phalanges de Trump ou se les faire broyer par lui, « faire la leçon à Poutine » avant de décréter que « la Crimée n’est pas russe », amorcer un changement de cap sur la Syrie avant d’être contredit par son ministre des affaires étrangères, et surtout laisser percer à toute occasion la vieille arrogance occidentale comme si l’on était le maître du monde, n’est-ce pas risqué pour un pays qui depuis son retour au bercail atlantique choisit toujours la mauvaise cause ?
 
CdV : Emmanuel Macron a assuré vouloir « obtenir la transparence sur toutes les forces de financement du terrorisme ». Or, il a également insisté sur la nécessité de ne pas « choisir son camp » entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Pouvez-vous nous donner votre avis sur ces éléments ?
M.R. : Ces velléités sont tout à fait contradictoires. « Les forces de financement du terrorisme » sont archi-connues. Et la France aurait pu obtenir cette transparence depuis quelque temps si elle n’avait pas fermé les yeux sur les agissements de ses alliés stratégiques successifs, le Qatar, puis l’Arabie Saoudite, qui ont une certaine expertise et une certaine expérience en la matière.
Quant à « choisir son camp » entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, je crois que la France l’a déjà fait sans ambigüité. Fabius que salue Macron au passage est plutôt mal placé en ce qui concerne la neutralité envers l’Iran, lui qui a tout fait en son temps pour faire capoter l’accord nucléaire finalement signé en juillet 2015 entre Téhéran et le groupe de ses six interlocuteurs.
Les dirigeants saoudiens qui récemment désignaient l’Iran comme le chef de file du terrorisme dans le monde pour tenter de se défausser, ne manquent pas de culot, on le sait. Ils ne font en cela qu’imiter leurs maîtres. Etant donné l’état de dévastation dans lequel se trouve plongée la légalité internationale et le naufrage de la raison auquel la communauté mondiale a dû s’habituer depuis que l’Empire Atlantique et ses séides prétendent faire la loi, nul ne s’étonne plus d’entendre les régimes les plus voyous prêter à leurs ennemis leurs propres déviances.
 
CdV : Emmanuel Macron estime que son élection aura été « une réponse à tous les Cassandres qui pensaient que défendre l’Europe était une idée révolue ». Or, Cassandre, dans la mythologie grecque, a reçu d’Apollon le don de voir l’avenir et la malédiction de n’être jamais crue. Quelles conséquences tirez-vous de cette phrase dans la bouche du président ?
M.R. : Défendre l’Europe, qui est une sorte de prison des peuples, de rempart des élites contre la démocratie, est sans doute une idée révolue, comme le montre l’indifférence ou l’hostilité des électeurs aux scrutins européens. M. Macron la défend. Ce n’est pas une surprise, mais le président n’a pas été porté à l’Elysée par un raz-de-marée populaire. On peut d’ailleurs être surpris par un détail que certains auront peut-être noté : la forêt de drapeaux tricolores et la rareté des emblèmes européens dans les meetings électoraux du candidat et les mêmes symboles européens sortis en force et à toutes les sauces depuis l’élection.
Pour Cassandre et le reste, la formule macronesque ne me semble pas limpide…
 
CdV : Envisagez-vous des changements de fond dans la diplomatie française ?
M.R. : Non hélas. Seulement des changements « cosmétiques », dans l’habillage ou plutôt le maquillage (par définition éphémère et changeant) de cette diplomatie. Il n’y aura pas de changement de fond tant que certains fondamentaux n’auront pas changé : je pense en particulier à l’arrogance occidentale naturelle et indéracinable, qui réapparaît à chaque détour de phrase.
 
Michel Raimbaud, le 3 septembre 2017
(propos recueillis par Antoine Grappin)
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