« Critiquer la politique de l’État d’Israël n’est pas être antisémite ! », par la CNCDH

Non, l’opposition au sionisme n’est pas de l’antisémitismeAlors que la proposition de résolution dite « Résolution Maillard » visant à faire adopter la définition de l’antisémitisme établie par l’IHRA doit être soumise au vote des députés demain mardi 3 décembre, un rassemblement a lieu aujourd’hui à 11h près de l’Assemblée nationale, pour affirmer haut et fort que « Critiquer la politique de l’État d’Israël n’est pas être antisémite ! »
Après les alertes venues des nombreuses associations membres du collectif national, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) vient d’écrire aux députés pour les convaincre des dangers de cette résolution.
Pour information, vous pouvez consulter ici l’historique de cette définition manipulatoire.

Paris, le 26 novembre 2019
Mesdames, messieurs les députés,
Le 3 décembre prochain est programmé, en séance publique, un débat sur une proposition de résolution visant à lutter contre l’antisémitisme, qui vise notamment à approuver la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) « en tant qu’instrument d’orientation utile en matière d’éducation et de formation et afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites de manière plus efficiente et plus efficace » ; et à encourager sa diffusion auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) partage le constat, formulé par les auteurs de la résolution, d’une recrudescence des actes et menaces antisémites en France ; et de fait, ces dernières années des hommes, des femmes et des enfants ont été assassinés parce que juifs, ce qui ne s’était plus produit depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette situation est intolérable, et il est urgent d’y remédier. Néanmoins, la CNCDH estime que l’adoption de la définition de l’antisémitisme utilisée par l’IHRA n’est pas une solution pertinente pour y parvenir. La CNCDH n’est pas favorable à la transposition en France de cette définition, pour plusieurs raisons.

Adopter une définition spécifique de l’antisémitisme fragilise l’approche républicaine du combat antiraciste

Il n’est pas dans la tradition juridique française d’opérer des distinctions entre les racismes, le droit français ne retenant qu’une définition globale et universelle du racisme précisée dans la loi Pleven du 1er mars 1972 : « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance, ou de leur non- appartenance, à une ethnie, une race ou une religion déterminée. » Adopter une définition propre à l’antisémitisme, même dépourvue d’effet normatif, singularise cette seule forme de racisme. Elle porte le risque d’encourager d’autres groupes de victimes de racisme à revendiquer à leur tour une pareille reconnaissance. Elle fragilise ainsi l’approche universelle et indivisible du combat antiraciste qui doit prévaloir. Certes, la lutte antiraciste doit impérativement tenir compte des spécificités et de l’histoire de chaque forme de racisme, mais adopter une définition spécifique de l’antisémitisme reviendrait à nier que cette lutte n’a de sens que si elle s’inscrit dans une vision universaliste de l’humanité.

Une définition qui ouvre la voie à des atteintes au droit de pouvoir critiquer un Etat et sa politique

La définition de l’IHRA tend à faire l’amalgame entre le racisme, à combattre, et la critique légitime d’un Etat et de sa politique, droit fondamental en démocratie. En effet, L’IHRA assortit la définition de l’antisémitisme de plusieurs exemples censés l’illustrer concrètement. Ainsi est-il affirmé que « les manifestations de l’antisémitisme peuvent inclure le ciblage d’Israël, conçu comme une collectivité juive », tout en étant précisé qu’« une critique d’Israël similaire à celle menée contre n’importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite » ; vient ensuite une série de onze exemples contemporains d’antisémitisme, dont sept font directement référence à Israël.
La CNCDH est tout à fait consciente, qu’aujourd’hui, en France, certains individus ou certains groupes dissimulent leur antisémitisme derrière une rhétorique « antisioniste ». Pour autant, en multipliant les occurrences à l’Etat d’Israël, l’IHRA propose une vision biaisée de l’antisémitisme contemporain. S’il faut se montrer ferme et vigilant face aux dérives antisémites de certaines critiques à l’encontre d’Israël, il est impératif d’éviter toute instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, qui pourrait justifier une atteinte à un droit fondamental en démocratie de pouvoir critiquer un Etat et sa politique. Ainsi, retenir comment critère d’appréciation d’une critique de la politique israélienne le fait de « faire preuve d’une double morale en exigeant d’Israël un comportement qui n’est attendu ni requis d’aucun autre pays démocratique » ne reviendrait-il pas à prohiber de fait toutes critiques de la politique israélienne ?

Une définition biaisée de l’antisémitisme

La vision de l’antisémitisme contenue dans la définition proposée par l’IHRA est aussi discutable dans la mesure où elle ne concorde pas avec l’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui en France. En effet, l’enquête CNCDH-SIG-IPSOS montre année après année plutôt la persistance de vieux préjugés antisémites (liant les juifs à l’argent, au pouvoir, leur reprochant leur communautarisme), et nuance la thèse d’un « nouvel antisémitisme » sui generis (polarisé autour d’Israël et du sionisme) chassant l’ancien. Si l’enquête confirme l’existence d’une « nouvelle judéophobie » qui s’articule autour d’une image négative d’Israël et de son rôle dans le conflit, celle-ci apparait très minoritaire.
Pour ces différentes raisons, la CNCDH vous invite à ne pas adopter la définition proposée par l’IHRA qui, loin d’être « opérationnelle », soulève plus de questions qu’elle n’apporte de solutions pour renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Les membres de la CNCDH se tiennent à votre disposition pour venir vous présenter les analyses développées dans le rapport annuel de la Commission sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, et pour discuter avec vous des propositions et recommandations qu’ils formulent pour rendre plus efficace la lutte contre le racisme et l’antisémitisme en France.
Dans l’attente de pouvoir échanger avec vous, nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs les députés, en l’assurance de notre haute considération.
Source : CNCDH / UJFP
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