Décès de Michel Serres : son dernier entretien, sur l'art d'être français

Le philosophe et académicien Michel Serres est décédé ce samedi 1er juin 2019 à l'âge de 88 ans. "Il est mort très paisiblement à 19 heures entouré de sa famille", a déclaré son éditrice Sophie Bancquart. Michel Serres, malade d'un cancer, était né le 1er septembre 1930 à Agen. Ecrivain et historien des sciences, passionné notamment par l'écologie et l'éducation, il s'est intéressé à toutes les formes du savoir, scientifique comme littéraire, anticipant les bouleversements liés aux nouvelles technologies de la communication. Il y a quelques jours seulement, Michel Serres recevait Léa Salamé à l'Académie française pour évoquer sa vision de « l'art d'être Français ».

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Le 26 mai, il était l'invité de l'émission « Questions Politiques », présentée par Ali Baddou. Faute de pouvoir évoquer les élections européennes en ce dimanche de vote, Michel Serres avait accepté l'invitation pour évoquer la vie (politique ou non), l'univers... et le reste. Et notamment la violence supposée de notre société actuelle, que ce soit dans le réel ou le virtuel : "localement, il y a de la violence, les attentats, etc.", rappelle le philosophe. "Mais si vous regardez globalement ce qui se passe depuis 10, 20, 100 ans, la violence ne cesse de baisser : que ce soit la violence politique, la guerre, les attentats, les violences individuelles... On est toujours attentif au phénomène factuel, aujourd'hui, l'actu... Mais globalement, ce n'est pas vrai ! C'est presque contre-intuitif, personne ne le croit..."

Michel Serres : "Si vous regardez globalement ce qui se passe depuis 10, 20, 100 ans, la violence ne cesse de baisser : c'est presque contre-intuitif, personne ne le croit !" #QuestionsPol pic.twitter.com/w2nW6hJdiC — France Inter (@franceinter) 26 mai 2019

En revanche, la société est bel et bien en train de changer, selon Michel Serres. "Nous sommes en train de vivre une période exceptionnelle de l'Histoire. On a vécu 70 ans de paix, l'espérance de vie a cru jusqu'à 80 ans, la population paysanne est passée de 75 à 2 %... Par conséquent, toutes les institutions que nous avons créées l'ont été à une époque où le monde n'était pas ce qu'il est devenu." Sont-elles donc obsolètes ? "À peu près toutes le sont. Elles sont désadaptées par rapport à l'état actuel du monde."

Michel Serres : "Nous sommes en train de vivre une période exceptionnelle de l'Histoire : toutes les institutions que nous avons créées l'ont été à une époque où le monde n'était pas ce qu'il est devenu" #QuestionsPol pic.twitter.com/rch2iBo2iC — France Inter (@franceinter) 26 mai 2019

Pour lui, le problème vient du fait qu'on n'a pas "réinventé" ces institutions. "Quand on a fait la Révolution de 89, on avait Rousseau derrière. Aujourd'hui, on n'a personne, et c'est la faute à qui ? Aux philosophes. C'est leur rôle de prévoir ou d'inventer une nouvelle forme de gouvernement ou d'institutions, et ils ne l'ont pas fait." Plus globalement, le système actuel lui semble désastreux. "L'économie telle que le capitalisme l'a mise en place est catastrophique, au moins du point de vue écologique", explique Michel Serres. "L'économie est en train de détruire la planète."

Michel Serres : "L'économie telle que le capitalisme l'a mise en place est catastrophique, au moins du point de vue écologique" #QuestionsPol pic.twitter.com/98Z276fsDl — France Inter (@franceinter) 26 mai 2019

Quid du numérique et d'Internet, désormais au cœur de nos vies, au risque de les virtualiser de plus en plus ? Rien de vraiment nouveau, pour l'Académicien. "Quand j'étais petit, ma grand-mère levait déjà les bras au ciel en disant : ce Michel, il verra jamais le réel, il est tout le temps dans les bouquins ! C'est vieux..." Michel Serres rappelle d'ailleurs l'étymologie "délicieuse" du mot "maintenant" : "ça veut dire 'tenant en main'. Quand vous avez le portable à la main, vous avez à la fois toutes les informations possibles, tous les gens accessibles, par conséquent vous tenez en main presque le monde... Je ne connais pas d'empereur dans l'Histoire qui puisse dire la même chose."

Michel Serres sur le monde numérique : "Quand j'étais petit, ma grand-mère levait déjà les bras au ciel en disant : ce Michel, il verra jamais le réel, il est tout le temps dans les bouquins !" #QuestionsPol pic.twitter.com/iklRpPNwsy — France Inter (@franceinter) 26 mai 2019

Quant aux dérives, comme les agressions sur les réseaux sociaux par exemple, Michel Serres rappelle : "Et l'agression dans les livres ? On a quand même lu Mein Kampf, et il y avait pas mal de livres de ce genre ! Tout canal de communication est possiblement chargé de crime..." Avis aux partisans du "c'était mieux avant"... L'émission dans son intégralité :
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Michel_Serres.jpg

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