Source : Arrêt sur Images, Daniel Schneidermann, 15-11-2019
Vient toujours un moment, pour les titulaires de mandats publics, affectant la plus irréprochable neutralité, où il faut sortir du bois, et faire allégeance à celui qui vous a nommé. En termes triviaux, renvoyer l’ascenseur. Dans un mandat, ces occasions ne se présentent pas tous les jours. Elles marquent durablement une carrière. C’est ce genre d’occasion qu’a rencontré Sibyle Veil, présidente de Radio France, en décidant de refuser la diffusion des spots publicitaires des opposants à la privatisation de Aéroports de Paris, décision annoncée hier soir sur France Inter.
Jusqu’à présent, on pouvait, avec beaucoup de bonne volonté, mettre l’indifférence médiatique pour la campagne de soutien au Référendum d’Initiative Partagée sur le compte du désintérêt pour une question considérée comme secondaire, ou trop complexe, ou tout ce qu’on voudra. Mais voici, pour crever le mur du silence, que les parlementaires opposants produisent des spots de trente secondes. Qu’ils les financent eux-mêmes (à la hauteur, considérable, de 100 000 euros, à comparer aux 12 millions engloutis dans la promotion du “grand débat” du pouvoir, au printemps dernier). Radio France, qui diffuse en ce moment d’autres spots appelant les épargnants à investir dans la privatisation de la Française des Jeux, a fait savoir, sur ses propres antennes, qu’il refuserait les spots ADP. La société de Sibyle Veil, camarade de promotion (et de karaoké) d’Emmanuel Macron à l’ENA, se fonde sur l’article 37 de son cahier des charges : “les messages publicitaires ne doivent contenir aucun élément de nature à choquer les convictions politiques des auditeurs”. Mais quid des auditeurs choqués dans leurs convictions politiques par la privatisation de la Française des Jeux ?
Ce niet présente le triste avantage de clarifier de paysage. Avant-hier, invité par Frédéric Taddei, dans son émission de RT France (oui oui, Télé Poutine !), à un débat contradictoire sur la privatisation de ADP, au titre de mon livre Pouvoir Dire Stop, je soulignais ce paradoxe : cette émission était la première de son genre, -longue durée, contradictoire- sur une chaîne diffusée en France. Jusqu’à présent, pour justifier l’étouffement médiatique de cette grande première démocratique, les habiles nous ont expliqué que cette privatisation, pourtant au coeur de trois enjeux essentiels -démocratique, économique, écologique- “n’intéressait pas les Français”. La preuve ? Seules 900 000 signatures, sur les 4,7 millions requises, ont été à ce jour recueillies ! Le caractère dissuasif du site de recueil des signatures ? Dû à son âge vénérable, bien entendu. Aucune intention maligne ! Avec la décision de Sibyle Veil, au lendemain et dans la droite ligne du désormais célèbre “Ferme ta gueule” du général Georgelin, on peut appeler les choses par leur nom : un sabotage d’Etat.Lire la suite
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