Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 17-05-2019
Pieter Brueghel l’Ancien. — « La Parabole des aveugles », 1568.Musée Capodimonte de Naples.
Quand un problème est trop embarrassant, il y a toujours la possibilité de regarder ailleurs. Avec une parfaite constance dans l’évitement, un sens du slogan qui fait penser à une publicité de la SNCF des années 80 (« Changer l’Europe, c’est possible ! »), et une conception de la politique essentiellement empruntée au mouvement scout (« À condition toutefois que l’on s’y mette tous »), le groupe des intellectuels organiques du hamono-glucksmannisme (1) remet le couvert avec ses sautillements d’« Europe démocratique », équivalent fonctionnel de l’ancienne promesse d’« Europe sociale », mais suffisamment ripolinée pour envisager de perdre deux ou trois décennies de plus.
L’honnêteté commande toutefois de souligner le progrès : l’« Europe sociale » façon Guigou-Aubry-Moscovici était à peine mieux que de l’hélium soufflé dans un ballon — en réalité personne n’y a jamais cru et, n’y croyant jamais, personne donc ne feignait même le moindre mouvement : écrire un truc ou deux, au moins faire semblant… mais rien. Ici au contraire, on y croit à fond — c’est presque pire. En tout cas on écrit, on n’arrête pas même. Nous avions déjà eu droit au Pour un traité de démocratisation de l’Europe en 2017, puis au Manifeste pour la démocratisation de l’Europe en 2018, c’est bien la moindre des choses qu’on nous informe que C’est possible ! en 2019.
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