David Cayla : « Distribuer une allocation universelle sans toucher au marché ne changera rien aux rapports de force »

Source : Le Comptoir, Frédéric Santos, 29-04-2016
Le revenu de base s’invite actuellement dans tous les débats citoyens, à commencer par Nuit debout. Son idée : verser un revenu à chaque citoyen, de façon inconditionnelle et non liée au travail, et pour toute la vie. « Utopie révolutionnaire » pour les uns, « roue de secours du capitalisme » pour les autres, il crée des lignes de fracture dans plusieurs courants politiques, mais aussi des amitiés surprenantes. Jeunes écologistes et think-tanks libéraux, tous deux favorables au revenu de base, ne se démarquent que secondairement sur les modalités de sa mise en œuvre. David Cayla, maître de conférences en économie à l’université d’Angers et membre des économistes atterrés, apporte le regard d’un hétérodoxe sur les limites de cette idée en vogue.

Le Comptoir : Les partisans du revenu de base avancent souvent qu’il peut contribuer à renverser le rapport de force travail/capital en faveur des travailleurs. Disposant d’un minimum garanti pour la subsistance, les citoyens seraient moins enclins à être employés pour des tâches ingrates et sous-payées. Surtout, le revenu de base les doterait d’un pouvoir de négociation renforcé face au patronat. Est-ce si sûr ?

David Cayla : L’argument touche juste. L’un des problèmes fondamentaux de notre système socio-économique actuel est justement qu’il génère des inégalités extrêmement violentes. Sous couvert de généraliser les mécanismes d’un marché réputé neutre et efficace, le capitalisme concurrentiel produit des gagnants et des perdants. On constate actuellement ses effets dans l’agriculture. La déréglementation des marchés agricoles a entrainé l’effondrement des prix à un niveau où ils ne couvrent parfois même pas les coûts de production. C’est le cas également dans l’emploi. Le chômage de masse pousse de nombreuses personnes à accepter des boulots mal payés, mal considérés et physiquement très durs, comme dans la restauration par exemple.
Le revenu de base permettrait-il de résoudre ce problème ? Imaginons l’hypothèse la plus favorable. Un revenu de base, inconditionnel, suffisant pour vivre décemment est versé à l’ensemble de la population. Immédiatement, de nombreuses personnes qui occupent un emploi pénible démissionnent et se mettent en quête d’un meilleur emploi. Les serveurs dans les restaurants, les agents de propreté, les vigiles, les commis de cuisine, les ouvriers en usine, les déménageurs, les livreurs de pizzas, les employés de restauration rapide, les guichetiers sur les autoroutes, les conducteurs de poids lourds, les aides à domicile, les manutentionnaires… obtiennent immédiatement la possibilité soit de quitter leur travail, soit de travailler moins et d’être payés davantage. Dans tous les cas, cela fait beaucoup de monde. La majorité des emplois. Qui va-t-on alors trouver pour accomplir ces tâches indispensables ?Lire la suite

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