Interview de Norman Finkelstein, le 20 mars 2019. Source : Site de Norman Finkelstein (Parties 1, 2, 3) Traduction : sayed7asan.blogspot.fr Transcription : Jimmy Dore : Vous savez, j'ai entendu dire que la majorité des Juifs ne soutiennent pas la politique du gouvernement israélien à l'encontre de la Palestine, de Gaza et de la Cisjordanie. Comment cela pourrait-il être le cas ? Et pouvez-vous nous parler du Likoud, qui est en quelque sorte un parti extrémiste, un parti de droite en Israël ? Quel pourcentage de soutien a-t-il réellement au sein de la population juive, à l'intérieur et à l'extérieur d'Israël ? Norman Finkelstein : Eh bien, nous devons préciser que premièrement, Benjamin Netanyahou, Premier ministre de l'État d'Israël, est à la tête de l'État depuis environ une décennie, et qu'il a participé à de nombreuses élections. Et bien qu'il ait été entaché de plusieurs scandales, se succédant littéralement les uns après les autres, aucun de ces scandales n'a réellement diminué sa popularité. Et la raison en est, je pense, assez simple, et à mes yeux, elle ne prête pas à controverse : Benjamin Netanyahou est un ignoble raciste, un suprémaciste Juif. Et sur tous ces descriptifs (ignoble, raciste, suprémaciste Juif), il est tout à fait représentatif de la population israélienne. Et la raison pour laquelle ils continuent à le réélire malgré les scandales, qui, soi-disant, seraient toujours sur le point de le faire tomber de façon imminente, malgré les scandales qui ne le font jamais tomber, c'est parce que lorsqu'ils regardent Benjamin Netanyahou, la majeure partie de la population israélienne se voit elle-même, il les représente très fidèlement. Et ils votent pour lui parce que dans sa mentalité... Je ne peux pas vraiment parler de valeurs, car je ne pense pas que des personnes comme M. Netanyahou aient des valeurs en soi), mais en termes de mentalité, de mépris des Arabes, de mépris des musulmans, (Netanyahou incarne parfaitement Israël et les Israéliens)... En fait, avec tout le respect que je vous dois, M. Dore, et à tous vos auditeurs, à moins qu'ils ne soient Juifs, Netanyahou n'a que du mépris pour vous. Ce sont des suprémacistes Juifs.
Mais dans une autre catégorie, il se trouve que Netanyahou est également un raciste, et même si je n'aime pas utiliser cette terminologie, parce qu'elle est trop simpliste et fait trop « slogan », il se trouve à mes yeux, dans ces circonstances particulières, que l'usage de ce terme est parfaitement manifeste et adapté dans ce cas, ça crève les yeux. Pourquoi M. Netanyahou et M. Trump s'entendent-ils si bien ? Pourquoi M. Netanyahou est-il la plus grande pom-pom girl de Trump au monde ? Eh bien, la réponse est simple : ils aiment tous les deux les murs. M. Trump veut construire un mur pour tenir les Mexicains à l'écart, et M. Netanyahou veut construire un mur pour tenir les Arabes à l'écart. Ils détestent tous les deux les Noirs. Lorsque le Président Obama était le Président des États-Unis, M. Netanyahou n'a pas du tout considéré déplacé, il n'a pas vu le moindre mal à faire irruption aux États-Unis, à faire irruption dans le bâtiment du Capitole (siège du Congrès US) et à donner des instructions à Obama sur la politique américaine vis-à-vis de l'Iran. J'ose dire, et bien sûr, vous êtes libre de me contredire, qu'il est inconcevable, absolument inconcevable, s'il y avait eu un chef d'État Blanc, si c'était George Bush ou même un Jimmy Carter, même si c'était un Jimmy Carter, M. Netanyahou n'aurait pas osé se comporter comme il l'a fait avec Obama. C'est un raciste. Et tout comme M. Trump, le raciste, exècre les musulmans, M. Netanyahou déteste les Noirs. C'est pourquoi il a fait de l'expulsion des migrants arabes [d'Erythrée, du Soudan ...] un axe de sa politique. Il y a environ 30 000 de ces réfugiés en Israël, qui ont fui une situation de guerre, des situations très graves et difficiles. Et il a décrété leur expulsion parce que vous devez vous rappeler que M. Netanyahou a grandi, une grande partie de sa vie a été passée aux États-Unis. Son père était professeur à Cornell University (New York) et ils détestaient (tous deux) les Noirs, les Schwartz, les Schwartz, comme on les appelle, les Noirs. Ils leur répugnent. Et maintenant, que M. Netanyahou soit confronté à la perspective que les Schwartz envahissent Israël, [c'est insupportable pour lui], et ils doivent donc partir. Et c'est donc le même état d'esprit. Ce ne sont pas des valeurs, c'est un état d'esprit. Vous pouvez choisir la description que vous souhaitez pour cet état d'esprit : certaines personnes diraient que c'est un état d'esprit nazi, d'autres diraient que c'est un état d'esprit fasciste, d'autres l'appelleraient un état d'esprit suprémaciste Blanc, raciste de droite, peu importe comment vous l'appelez. Mais [Trump et Netanyahou] ont bien cet état d'esprit. Et c'est le cas du peuple israélien dans son ensemble. C'est une chose navrante à dire, mais je ne fais pas partie de ceux qui, au nom du politiquement correct, reculent devant les généralisations. Si on dit que la plupart des Blancs du Sud des États-Unis, à l'époque d'avant les droits civiques, étaient pour la plupart des suprématistes racistes Blancs haineux, très peu de gens s'offusqueraient de cette « généralisation » (car elle est largement vraie et admise). Mais dès que vous utilisez exactement ces mêmes termes pour décrire Israël ou les Israéliens, cela devient soudainement politiquement incorrect. Je ne suis pas d'accord. Si vous voulez comprendre la mentalité israélienne à l'égard des Palestiniens, des Arabes ou des musulmans, c'est très facile à comprendre pour un Américain : il suffit de regarder l'Alabama, le Mississippi et tous les autres États du Sud à l'époque précédant les droits civiques. Telle est leur mentalité. Telle est la mentalité israélienne. Et M. Netanyahou, dans son état d'esprit, n'est pas très différent d'un George Wallace ou d'un Lester Maddox, pour ceux qui se souviennent de cette époque. Jimmy Dore : Permettez-moi de vous poser une question : le peuple juif ou le peuple d'Israël ne voient-ils pas l'énorme ironie qui se joue actuellement, à savoir que l'État israélien a été inventé comme un refuge pour le peuple juif parce qu'ils ont été persécutés, et que maintenant ils sont devenus eux-mêmes (les oppresseurs) ? Et que depuis deux décennies au moins, ils font subir exactement la même chose, ou une chose très horrible, pas la même chose, mais une chose très similaire au peuple palestinien, vous savez, faisant d'eux des citoyens de deuxième classe, les dépouillant de leurs droits, contrôlant leurs mouvements d'entrée et de sortie où qu'ils aillent, et leur imposant des blocus économiques et des blocus médicaux... Et vous savez, comme nous l'avons dit, c'est une prison à ciel ouvert. Est-ce que l'ironie de la situation leur échappe vraiment ? Ne voient-ils pas cela ? Norman Finkelstein : Oui, je pense qu'ils ne le voient pas. Je pense vraiment que l'ironie leur échappe. Tout d'abord, rappelez-vous qu'une grande partie des Européens qui sont venus aux États-Unis, les Pères pèlerins, les puritains, fuyaient les persécutions religieuses. Mais ensuite, ils ont infligé des crimes vraiment atroces à la population autochtone quand ils sont venus ici. Le fait est que les colons européens, les colons Blancs qui sont venus ici, les Euro-Américains, ne pouvaient pas concevoir la population locale, la population autochtone, ils ne pouvaient pas les concevoir comme des êtres humains du même ordre qu'eux. Ce n'était que des sauvages à leurs yeux. Et de la même manière, le peuple israélien ne peut pas concevoir les Arabes ou les musulmans sur le même ordre moral qu'eux. Ce ne sont que des terroristes ou des sauvages à leurs yeux. Donc je pense qu'il est correct de dire qu'ils ne voient rien de mal à la façon dont ils agissent. En fait, si vous lisez la plupart des témoignages d'Israéliens sur la situation là-bas, la plupart d'entre eux n'ont pas le moindre intérêt pour ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza. Ils vivent très bien, ils ont un niveau de vie très élevé, ils voyagent beaucoup, mais pour les Israéliens, la Cisjordanie et Gaza sont des endroits lointains, presque exotiques. Je sais que cela peut paraître surprenant, mais souvenez-vous, par exemple, quand je grandissais à New York, c'est une ville compacte comme vous devez le savoir, 99% des Blancs de New York parlaient (constamment) de Harlem, étaient terrifiés par Harlem, mais n'avaient jamais mis les pieds à Harlem. Ils n'avaient jamais vu ce quartier (Noir), sans même parler de s'y être rendus physiquement. Et il y avait quelque chose de drôle à l'époque, quand des Européens venaient, en touristes, vous savez, des jeunes, vous leur demandiez « Vous habitez où (pendant votre séjour) ? », et ils répondaient tous « A Harlem, bien sûr ! », [Rires], parce que Harlem était palpitant et branché, vous savez, avec ses clubs, le jazz... Mais pour les New-Yorkais Blancs, Harlem était une image de terreur. « Harlem ?! Tu vis à Harlem ?! Oh mon Dieu ! »
Et je me souviens de ma première visite dans les Territoires occupés en 1988, je vivais dans des familles en Cisjordanie, et lorsque je disais aux Israéliens : « Vous savez, je suis allé en Cisjordanie », ils me disaient : « Vous êtes allé en Cisjordanie ?! » Leurs yeux devenaient globuleux. Pour eux, c'est l'étranger. Jimmy Dore : C'est fascinant... Je veux dire, ces analogies que vous faites, elles sont très utiles pour comprendre la situation.
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