Le sociologue américain Immanuel Wallerstein est décédé ce 31 août 2019. Il travaillait comme directeur du centre Fernand Braudel et a été le président de l'Association internationale de sociologie. Il est notamment connu pour sa production historique qui a repris le concept d'économie-monde proposé par Braudel, tout en cherchant à le libérer de certaines de ses limites. Le premier et sans doute le principal de ses apports qui constitue une véritable percée conceptuelle consiste dans l'introduction d'un nouveau concept, celui de « système-monde », qui va lui permettre de préciser la notion braudelienne d'économie-monde. En résumé, ce qui caractérise un empire-monde, c'est qu'il est politiquement unifié et que son unité est essentiellement politique : il résulte de l'intégration et de la subordination des différentes unités qui le composent dans et par une même structure impériale, un même pouvoir d'Etat, aux lourds et puissants appareils militaire, fiscal, administratif, etc. Cette unification politique se double quelquefois d'une certaine forme d'uniformisation culturelle, sous l'effet de la diffusion d'une grande religion (faisant alors fonction de religion d'Etat) voire d'une langue, qui normalise plus ou moins les mœurs, la société civile, le droit, etc. Les grands empires asiatiques (la Chine, l'Inde, la Perse, les Empires arabes classiques et l'Empire ottoman) constituent les exemples typiques d'empires-monde. Une économie-monde se distingue au contraire d'un empire-monde par trois traits. D'une part, elle n'est pas politiquement unifiée : elle est au contraire politiquement fragmentée en une multiplicité de pouvoirs autonomes et souverains, souvent rivaux et, à l'occasion, même ennemis, qu'elle inclut cependant en elle en les englobant. D'autre part, fragmentée sur le plan politique, une économie-monde l'est aussi sur le plan culturel. Enfin, l'unification d'une économie-monde s'opère, comme son nom l'indique, essentiellement dans et par l'économie. Ce qui suppose non seulement l'existence de relations d'échange marchand régulières et intenses entre les différentes unités sociopolitiques qui la composent mais encore le développement d'une véritable division du travail entre elles, qui les rend mutuellement dépendantes du point de vue de leur reproduction matérielle, ce que Wallerstein appelle « la division axiale du travail » qui est l'épine dorsale de l'économie-monde capitaliste selon lui. L'intérêt de cette distinction entre empire-monde et économie-monde, ignorée de Braudel, est qu'elle évite certaines imprécisions et confusions dont ce dernier a été victime, en étendant abusivement sa notion d'économie-monde, ce qui l'a amené à voir des économies mondes un peu partout : dans l'Empire romain, dans l'Empire ottoman aussi bien que dans l'Inde moghole ou dans la Chine des Song ou des Ming. Wallerstein situe l'origine du « « système-monde » dans l'Europe du Nord-Ouest du XVIe siècle et en souligne la forte originalité qui tient en premier lieu dans sa tendance et sa puissance expansives, conséquences directes de sa nature capitaliste. En effet, ce qui caractérise le plus proprement le capitalisme selon Wallerstein, c'est sa tendance à l'accumulation illimitée de valeur marchande. Wallerstein souligne, en second lieu, l'origine de la structure spatiale de cette économie-monde, caractérisée par la division et l'opposition entre centre et périphérie. Celles-ci concernent au premier chef les procès de production, les procès centraux étant ceux qui s'assurent une meilleure rentabilité par leur position monopolistique ou du moins oligopolistique sur les marchés ; tandis que les procès périphériques connaissent une moindre rentabilité. Mais l'opposition entre centre et périphérie peut s'étendre et s'étend de fait ordinairement à des territoires et finalement à des Etats : les Etats centraux seront ceux dans lesquels tendront à se concentrer les procès de production centraux (monopolistiques ou oligopolistiques) ; tandis que les Etats périphériques seront ceux entre lesquels se disperseront les procès de production de moindre rentabilité. Entre les Etats centraux défendant leurs monopoles ou oligopoles et les Etats périphériques subordonnés aux précédents s'interpose un troisième groupe d'Etats, que l'on peut qualifier de semi périphériques, au sein desquels coexistent, en proportion variable, des procès centraux et des procès périphériques. Ces Etats occupent par définition une position délicate parce qu'instable. On trouve parmi les Etats semi périphériques à la fois d'anciens Etats centraux en déclin et des zones ou Etats anciennement périphériques en voie ascendante dans la hiérarchie mondiale. Ainsi, l'existence de cette catégorie d'Etats intermédiaires atteste du fait que la hiérarchie des Etats au sein l'économie-monde capitaliste n'est rien moins que stable et donnée une fois pour toutes : elle peut se modifier au gré du devenir des procès de production localisés sur leurs territoires respectifs, permettant à certains de s'élever dans la hiérarchie et condamnant d'autres au contraire à y décliner. On doit enfin à Wallerstein d'avoir été l'un des premiers à formuler les principes qui régissent les rapports conflictuels entre Etats centraux au sein de l'économie-monde capitaliste, le principe d'équilibre des puissances et celui connexe de prédominance hégémonique. Le premier implique l'impossibilité pour un quelconque des Etats centraux de l'économie-monde capitaliste de transformer cette dernière en un empire-monde qu'il dominerait, dans la mesure où la coalition des plus faibles Etats centraux restent toujours plus assez puissante pour s'opposer aux menées impériales éventuelles du plus forts d'entre eux. Si bien que la seule possibilité ouverte à un Etat central au sein de cette économie-monde est de conquérir une position hégémonique au sein de cet équilibre des puissances. Selon Wallerstein, chacune de ces hégémonies successives s'est imposée à la suite d'une « guerre mondiale » (respectivement la guerre de Trente Ans 1618-1648, les guerres révolutionnaires et napoléoniennes 1792-1815, la Première et la Deuxième Guerre mondiale 1914-1945) mettant aux prises une coalition d'Etats conduite par la future puissance hégémonique contre une puissance visant à établir une domination impériale sur le système-monde. Voici un des rares entretiens d'Immanuel Wallerstein en Français, une langue qui n'est pas la sienne et il peine parfois à trouver ses mots. Cette vidéo n'a clairement pas la valeur de ses travaux écrits, cependant elle permet de le découvrir. Index chronologique 00 : 00 : Qu'a inventé Fernand Braudel ? 03 : 45 : C'est aussi l'inventeur de l'histoire longue ? 10 : 50 : Pourquoi le temps long est-il important ? 13 : 30 : Pourquoi faire de l'histoire longue aujourd'hui ? 18 : 00 : Comment le capitalisme est-il né au XVIème siècle ? 21 : 15 : Le capitalisme du XVIème siècle est-il le meme que celui d'aujourd'hui ? 26 : 50 : Quels points communs avec notre époque ? 32 : 05 : Les écanges de cette mondialisation sont aussi très inégalitaires ? 32 : 30 : Mais aussi en Méditérannée ? 35 : 05 : Quelles places ont les villes dans ce système monde ? 37 : 40 : Quel regard portez vous sur la ville capitaliste moderne ? 39 : 00 : Pourquoi accordez vous tant d'importnce aux villes-ports ? 43 : 45 : Pourquoi avoir fondé le centre Fernand Braudel aux Etats-unis ? 45 : 33 : Pour vous aussi, comme disait Fernand Braudel « toute l'histoire relève de la reverie » ? Sources : Mucem Bihr Alain, « Immanuel Wallerstein, Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des systèmes-monde »
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Immanuel_Wallerstein.jpg
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