Le 15 août 1945, l'empereur Hirohito annonce la reddition du Japon. Selon la version communément admise, les bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki auraient fait plier l'empire du soleil levant. Est-ce vrai ? Pour étayer le propos de Jean Lopez dans cette courte vidéo, contextualisons. De notre perspective, les bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki apparaîssent extraordinairement meurtrier mais si l'on se met à la place des dirigeants japonais au cours des trois semaines qui le précèdent, l'image est considérablement différente. A l'été de 1945, l'USAAF est en train d'effectuer une des plus intenses campagnes de destruction de centres urbains de l'histoire mondiale. 66 villes japonaises sont bombardées, et toutes sont partiellement ou intégralement détruites. Certains de ces raids conventionnels approchèrent le potentiel de destruction des deux bombes atomiques. Le raid sur Tokyo dans la nuit du 9 au 10 mars 1945 demeure encore aujourd'hui le plus destructeur jamais effectué contre une ville, environ 40 kilomètres carrés de la ville sont réduits en cendre et on estime à 120.000 le nombre de Japonais qui périrent dans cette attaque. Hiroshima est donc une attaque tout à fait dans la norme de celles effectuées cet été-là. Des documents montrent que les dirigeants du Japon ont fait montre d'un désintérêt constant à l'égard de la campagne de bombardement qui anéantissait leurs villes les unes après les autres. Lorsque Hiroshima et Nagasaki sont frappé, ils considèrent ces attaques comme un épiphénomène du conflit. Quand Truman menaça publiquement le Japon d'une « pluie de destruction » s'il ne capitulait pas, il n'y avait à ce moment-là plus grand chose à détruire au Japon, il ne restait plus que dix villes de plus de 100.000 habitants encore intactes. Dans les comptes-rendus des réunions du conseil suprême, les bombardements des villes sont rarement mentionnés, les dirigeants japonais ne sont guère impressionnés par la menace de nouveaux bombardements. Pour comprendre ce désintérêt pour le massacre de population civile, il faut saisir les objectifs stratégiques de la classe dirigeante japonaise. Même les plus enragés des dirigeants japonais avaient parfaitement conscience que la guerre était perdue, la question n'était donc pas de savoir comment gagner la guerre mais comment faire en sorte qu'elle se termine dans les meilleures conditions possibles. Les dirigeants japonais espèrent encore pouvoir éviter d'être jugés pour crimes de guerre, conserver leurs institutions et au moins une partie des territoires conquis. Pour ce faire, ils avaient deux options stratégiques : -Une option militaire : ils espèrent infliger des pertes très lourdes aux Américains à l'invasion de l'archipel. Ils pensent être en position d'obtenir des Etats-Unis des termes plus favorable à une cessation des hostilités en atteignant cet objectif. -Une option diplomatique : la diplomatie japonaise va entamer des négociations détournées avec les américains via Moscou, elle espère que Staline se laissera convaincre de servir d'intermédiaire. En effet, il dans l'intérêt de l'Union soviétique de s'assurer que les termes de l'accord de paix ne seraient pas trop favorables aux Etats-Unis car toute montée en puissance de l'influence américaine en Asie et dans le Pacifique signifiait en retour une perte d'influence pour les Russes. Après le bombardement d'Hiroshima, les deux options sont toujours viables, les dirigeants japonais n'étaient donc pas inquiétés par les bombes atomiques. Mais l'impact de la déclaration de guerre des Soviétiques et l'invasion de la Mandchourie et de l'île Sakhaline est d'une toute autre nature. Staline ne peut plus servir d'intermédiaire, il est à présent un belligérant. Les services de renseignements japonais pensaient que les forces américaines ne seraient pas en mesure d'envahir le Japon avant plusieurs mois mais les troupes soviétiques pouvaient quant à elles mettre le pied sur l'archipel du Japon dans les dix jours à venir. S'il était possible de livrer une bataille décisive face à un seul adversaire attaquant dans une direction, il était impossible pour le Japon de repousser deux grandes puissances attaquantes simultanément et depuis deux directions opposées. L'entrée en guerre des Soviétiques invalide totalement la stratégie de la « bataille décisive » avancée par les militaires comme elle invalide la stratégie diplomatique voulue par les civils. D'un seul coup, les deux options japonaises sont évaporées, il ne reste plus qu'à capituler. Mais alors, pourquoi l'explication traditionnelle du bombardement d'Hiroshima qui aurait mis fin à la guerre est-elle récitée et réaffirmée en permanence ? Du coté Japonais, les bombes atomiques étaient tout simplement l'excuse parfaite pour expliquer la défaite, les dirigeants japonais pouvaient affirmer qu'ils avaient fait de leur mieux mais qu'en raison de l'apparition soudaine d'une arme miracle chez l'ennemi, il n'était plus possible de continuer le combat. Ainsi, nul besoin d'avoir à déterminer les responsabilités de chacun, l'empereur pouvait conserver sa légitimité. En outre, ce récit permettait au Japon de s'attirer une certaine sympathie sur le plan international : il avait mené une guerre d'agression et s'était montré d'une grande brutalité à l'égard des peuples conquis, son comportement risquait fort de le placer au ban des nations, mais présenter soudain le Japon comme une nation victime d'une arme de guerre aussi cruelle que monstrueuse permettait de reléguer au second plan une bonne partie des actes commis par les soldats japonais.
Du côté américain, la perception de la puissance militaire américaine se trouvait renforcée par une victoire grâce aux bombes atomiques. A l'inverse, si l'on admettait que c'était l'entrée en guerre de l'Union soviétique qui avait provoqué la capitulation du Japon, et qu'on laissait les Soviétique proclamer qu'ils étaient parvenus en deux jours à obtenir ce que les Américains n'étaient pas parvenus à obtenir en quatre ans, la perception de la puissance militaire soviétique et l'influence de sa diplomatie s'en seraient trouvées renforcées. La possession d'une arme décisive de destruction sans équivalent était donc un atout important aux mains des États-Unis pour entrer de pleins pieds dans ce qui allait devenir la Guerre froide. De plus, le président Truman, qui prit la décision du bombardement, affirma que son geste avait sauvé la vie de près de 250.000 "boys". Après la guerre, dans ses "Mémoires", ce chiffre monta à 500.000. D'autres par la suite sont allés jusqu'à avancer des chiffres de l'ordre de 1... à 3 millions de vies épargnées. Ainsi, malgré l'horreur des bombardements, l'image des États-Unis était épargnée, des vies avaient été sauvées ! Sources : Europe 1 Tsuyoshi Hasegawa : "Racing the Enemy - Stalin, Truman and the Surrender of Japan", Harvard University Press, 2005. Ward Hayes Wilson, « Ce n'est pas la bombe atomique qui a poussé le Japon à capituler »
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/ill_1742796_9d39-856496.jpg
Source