Indonésie : Histoire, terrorisme, islam et actualité - Partie 1 – vue d'ensemble Vu l'ampleur du sujet, cet article sera découpé en quatre volets : Partie 1 – Vue d'ensemble Partie 2 – L'influence saoudienne Partie 3 - Les raisons des tensions inter-religieuses Partie 4 - Parallèles France-Indonésie Le terrorisme islamiste a encore frappé récemment en France et en Belgique... mais cette réalité de proximité ne doit pas nous empêcher de réaliser que le phénomène est mondial et que les victimes de l'intolérance religieuse musulmane se répartissent un peu partout sur la planète. D'où l'idée d'évoquer le cas indonésien - très peu traité dans nos médias - car en réalité, rien de nouveau non plus du côté de l'Asie du Sud Est où, une fois de plus (mai 2018), les chrétiens Indonésiens ont été la cible de 3 attentats à la bombe faisant 14 morts et une quarantaine de blessés, attentats également revendiqués par l'EI. Ce sont « les gardiens des églises et des chrétiens dans la ville de Surabaya » qui ont été spécifiquement visés(1). Fait exceptionnel ce sont des familles entières, parents et enfants qui ont mené ces attaques les 13 et 14 mai 2018. Puji Kuswati, une mère, et ses deux filles de 9 et 12 ans, toutes voilées d'un niqab, ont ouvert le bal de l'horreur de cette série contre l'église Kristen Indonesia Diponegoro. Profitant de la sortie de la messe elles ont fait exploser leurs ceintures d'explosifs. Le père, Dita Priyanto, a, de son côté, foncé avec sa voiture piégée dans une église pentecôtiste tandis que ses deux fils de 16 et 18 ans se sont fait exploser dans l'église de Santa Maria. Selon un porte-parole de la police indonésienne, cette famille revenait de Syrie. »(2) Quelques données générales pour comprendre D'abord l'Indonésie est un pays immense, morcelé en plus de 13 400 îles avec quelques îles principales que sont Sumatra, Kalimantan, la Nouvelle-Guinée occidentale, les Célèbes, Java (la plus peuplée de toutes et de loin avec 60% de la population), la Sulawesi, ces grandes îles ou archipels étant divisés en plusieurs régions (kota) elle-mêmes. D'autres regroupements d'îles, comme les Moluques (centre de tous intérêts en raison des épices lors de la colonisation) et les Petites îles de la Sonde (dont la célèbre Bali) complètent les 7 provinces administratives qui constituent l'Indonésie. 8% des îles de l'archipel sont habitées et les variations de densités de population y sont considérables. Cette réalité est à garder à l'esprit. Si l'archipel est multi-ethnique et les religions nombreuses, l'Islam est la première de toutes avec environ 87% de la population, ce qui en fait le premier pays au monde en nombre. Suivent les chrétiens (7% de protestants, 3% de catholiques), moins de 2% d'hindouistes (principalement à Bali) et moins d'1% d'autres religions (bouddhisme, confucianisme, autres). La religion en Indonésie est souvent pratiquée de manière syncrétique avec une forte influence des croyances et rites locaux. On ne peut terminer ce bref tour d'horizon sans évoquer le système éducatif : l'enseignement de la religion est obligatoire (en fonction de la religion des concernés). En Indonésie, il existe plusieurs dizaines de milliers de madrasas (écoles coraniques). Une très large majorité y délivre un enseignement classique, comme dans n'importe qu'elle école, et à côté de celui-ci, l'enseignement d'un islam en général modéré. Il existe également des écoles où seul l'islam est enseigné (les pesantren) avec pour principal objectif de former les futures autorités religieuses. Elles sont plus ou moins conservatrices. A côté de ces deux premiers types d'établissement, une 3ième forme s'est développée dans les années 80 : les écoles salafistes. Ce sont ces étudiants, les personnes qui en sont issues qu sont celles, entre autres, impliquées dans les manifestations politiques des islamistes. Leur objectif est la purification de la société musulmane en vue de l'application de la charia. Nous n'entrerons pas dans les détails des différences entre whabisme et salafisme car les références de ces derniers sont les mêmes : ibn Taymiyya, ibn Adb al Wahhab, M. ibn Qayyim al-Jawziyya... Mais voici un reportage d'Arte qui donnera une vue d'ensemble : Rappel des faits de terrorisme Outre le cas spectaculaire de ces attaques coordonnées en famille de mai 2018, de nombreux cas relevant du terrorisme ont émaillé l'histoire récente de l'Indonésie. Par exemple en mai 2018, une prison indonésienne a connu une grave émeute : 5 policiers et un détenu sont morts lors d'affrontements où un gardien a été pris en otage par des islamistes du JAD (voir article suivant) dont 4 membres ont également été tués. Mais de nombreux attentats sanglants furent commis dans ce pays, visant alternativement les communautés chrétiennes, les lieux de tourisme, etc. : en 2000, attentats contre des églises le soir du nouvel an (18 morts), en 2002, carnage à Bali (202 morts), en 2003, attentat dans un hôtel (12 morts), en 2004, attentat à l'ambassade australienne (9 morts), en 2005, série d'attentats à Bali de nouveau (20 morts), en 2009, rebelote dans les hôtels (7 morts), en 2016, à Jakarta (4 morts) , la même année un prêtre catholique est attaqué au couteau par un musulman. La liste n'est hélas pas exhaustive et de nombreuses attaques sur fond de religion ont été perpétrées. Ce terrorisme, comme cet attentat commis très récemment, intervient dans un contexte de revenants (comme en France... ce sera la 4ième partie de cet article : les points communs) de Syrie (plusieurs centaines d'Indonésiens ont rejoint l'EI) mais au-delà de ce phénomène, la radicalisation islamique progresse depuis les années 80 en Indonésie. Déjà sous Suharto (1966-1999) on dénombrait une douzaine d'attaques d'églises chaque année. Plus de 400 églises furent rasées dans les années suivant la chute du dictateur. En février 2018, c'est encore une fois un islamiste qui, armé d'une épée, a pénétré dans une église blessant 4 personnes, dont le pasteur qui tenta courageusement de protéger sa congrégation. L'homme avait exprimé son souhait de partir en Syrie(9). Nous pourrions déjà faire remarquer que l'explication selon laquelle l'EI ne ferait au fond que répondre aux "agressions" auxquelles se livreraient les pays arabo-occidentaux à son endroit ne tient pas, l'Indonésie ne figurant pas parmi la coalition et ces tueries et persécutions du quotidien ayant commencé bien avant et ayant aussi des explications multiples (que nous tenterons de développer dans une troisième partie) économiques liées à des transferts de populations. Une fois de plus, en 2018 comme précédemment, les chrétiens ont été victimes d'une certaine intolérance religieuse bien spécifique. En naviguant sur les sites Indonésiens, on trouve peu d'informations parlant de cette réalité. Raisons du manque d'information Elles sont multiples. D'abord comme rappelé, le territoire est immense. Ensuite la réalité de l'Indonésie est que les médias y sont étroitement surveillés. Selon l'ONG HRW, le syndicat non gouvernemental « Alliance des journalistes Indépendants » a recensé pas moins de 78 violentes agressions sur des journalistes en 2017(7). L'enquête de HRVV a confirmé l'existence d'un climat de peur bien entretenu par une impunité quasi totale de la police, des autorités ou de l'armée et ressentie par tous les journalistes interrogés. Cette violence se manifeste par des « destruction du matériel des journalistes, notamment les caméras et cartes mémoires, [du] harcèlement, [de] l'intimidation, [des] menaces, [des] agressions physiques. Elles se produisent dans toutes les principales îles de l'Indonésie, typiquement dans les capitales provinciales et les petites villes (…) [et] sont moins courantes à Jakarta, la capitale, où les journalistes sont davantage conscients de leurs droits ». Il convient également de rappeler le contexte politique indonésien. En juin 2018 se tiendront des élections régionales, puis, en avril 2019, les législatives et présidentielles. La campagne bat déjà son plein. Dans ce pays qui est aussi l'un des 5 plus important au monde en nombre d'utilisateurs de Facebook et Twitter, la même guerre contre les Fake News est en marche. Le Président Jokowi, candidat lui-même en 2019, entend bien lutter contre ce phénomène et, du moins peut-on le penser, contre les groupes pouvant lui nuire. En avril 2018, la police indonésienne a d'ailleurs procédé à l'arrestation de 14 membres présumés d'un réseau, la Muslim Cyber Army (MCA), accusés de propager des contenus haineux et diffamatoires sur les réseaux sociaux. D'autres membres d'un groupe nommé Saracen ont également été arrêtés l'année dernière pour les mêmes motifs. La MCA est principalement accusée d'attiser les haines inter-religieuses(10). Répression des minorités Les chrétiens, particulièrement dans les zones fortement islamisées, ne sont pas les seuls à connaître la persécution. Ce sont, là encore, des groupes religieux populaires et majoritaires tels que la Nadhlatul Ulama (NU), l'organisation musulmane la plus importante du pays qui « ont demandé la pénalisation des comportements et du militantisme LGBT et la « réadaptation » forcée des personnes LGBT. ». L'Association psychiatrique indonésienne s'est même jointe à cette condamnation en proclamant l'orientation homosexuelle et les identités transgenres des « maladies mentales » nécessitant une « rééducation » psychologique(8). Autres victimes récurrentes, les ahmadis. Mais nous y reviendrons dans les parties suivantes plus en détail. La seconde partie traitera de l'influence saoudienne et ses effets sur la société et nous donnera l'occasion de rentrer davantage dans les détails de cette menace qui est mondiale.
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/indonesie-islam.jpg
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