Le discours prononcé par le Président de la République sur le « séparatisme » aux Mureaux le 1er octobre 2020, discours où il cibla les islamistes radicaux, réveille un problème ancien[1]. La loi qui devrait s’inspirer de ce discours, et qui abandonne déjà le mot de « séparatisme » va, quant à elle, chercher à se situer sur le terrain de la laïcité[2]. Pourtant, le risque de voir s’affirmer un « séparatisme », autrement dit un « Etat dans l’Etat » existe bien. Cela pose naturellement la question de la souveraineté de la Nation, tout autant que celle de la laïcité.
Or, quand on se pose la question de savoir quelles sont les relations que la SOUVERAINETE entretient avec la LAÏCITE, et nous sommes là au cœur du problème du « séparatisme », il convient parfois de se reporter dans le passé.
Un exemple du lien entre ces deux notions peut nous être fourni par les « Mémoires du Duc de Saint-Simon »[3], et en particulier par ses commentaires sur la visite du Tsar Pierre le Grand en 1717 à Paris. Les « Mémoires » sont une œuvre littéraire, mais pas seulement. Le Duc, grand ami du Régent, insère dans ses « Mémoires » ses opinions. Du fait de sa proximité avec le Régent, il fut amener à cotoyer un certain nombre de hauts responsables. Il est donc certain qu’il rencontra l’ambassadeur et confident du Tsar, le Prince Kourakine. Même si, quand il décrit ses propres actes, un doute légitime peut peser sur la véracité de son récit, il est patent qu’il a cherché à mettre en scène ses propres opinions, et c’est ici ce qui nous intéresse. Ajoutons que le Duc est un catholique fervent – on connaît les liens qu’il avait avec la Trappe – mais un catholique penchant pour le gallicanisme. Ses propos ne doivent donc pas être lus comme ceux d’un agnostique, voire d’une athée, ce qui n’est pas forcément le cas pour le Régent, Philippe d’Orléan.
DE LA SEPARATION ENTRE LA « FOI », QUI RENVOIE AU MONDE SPIRITUEL, ET LA RELIGION, QUI SE MANIFESTE DANS L’ESPACE POLITIQUE.
Saint-Simon présente tout d’abord le projet de Pierre le Grand, un souverain dont il dit qu’il « s’est fait avec justice un si grand nom chez lui et par toute l’Europe et l’Asie », de se convertir au catholicisme comme la conséquence de sa volonté de « moderniser » la Russie. Il écrit ainsi : « Ce monarque qui se voulait tirer, lui et son pays, de leur barbarie (…). Cette grande raison rendait nécessaire la religion catholique… »[4]. Il précise que Tsar entend alors laisser à ses sujets la « liberté de conscience ». Point intéressant : quelle est la position du Duc sur cette « liberté » ? Yves Coirault, à qui nous devons le remarquable appareil critique de ces « Mémoires », précise que l’on trouva dans l’inventaire de la bibliothèque du Duc des ouvrages du penseur et historien protestant réfugié à Rotterdam, Pierre Bayle, que l’on peut considérer comme un pré-encyclopédiste. Or, ce dernier avait, dès 1686, défendu ardemment cette liberté[5]. Sur ce point, il heurta violemment avec un autre français de religion protestante, Pierre Jurieu. Ce dernier considère que les protestants français doivent soutenir, à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes Guillaume III d’Orange, contre Louis XIV. Tel n’est pas l’avis de Bayle qui considère que les protestants français doivent rester français avant tout. Dans son « Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : ‘’Contrains-les d’entrer’’ », il va dénoncer naturellement l’intolérance du Roi. Il prône une tolérance civile de TOUTES les confessions chrétiennes, du judaïsme, de l’islam et même pour les athées. En 1690 il fait paraître un « Avis important aux réfugiés »[6] exhortant les protestants au calme et à la soumission politique, ce qui provoque la colère de Pierre Jurieu. On peut donc penser que Saint-Simon accepte cette idée de « liberté de conscience », en cela qu’elle permet de dissocier le monde spirituel du monde politique.Lire la suite
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