Source : PerrUche en Automne
Depuis quelques semaines nous vivons dans un monde étrange, celui du COVID-19. Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai déjà écrit et dit sur cette maladie lors des webinars de la SFNDT (présentation 1, 2 et 3). Ce qui est évident, nous avons besoin de faire de la science plutôt que du spectacle. Le monde de l’édition scientifique et en particulier des grandes revues (NEJM, Lancet, JAMA, BMJ et consorts) ne va pas sortir grandi de cette épreuve. Il y a eu un relâchement des standards, aussi bien méthodologiques qu’éditoriaux, impressionnant. En ce 13 avril 2020, 3740 articles sont indexés dans Pubmed en un peu plus de trois mois, la qualité et la pertinence ne peuvent pas toujours être au rendez vous. Je ne parle pas des preprints. Nous ne devrions pas confondre vitesse et précipitation. En plus de la vague épidémique, il y a une vague informationnelle, qui porte le joli nom d’infodemic.
Au sommet de cette folie est l’utilisation des antipaludéens de synthèse (chloroquine et hydroxychloroquine) dans le traitement du COVID-19. Je ne reviendrai pas sur les limites diverses et variées des « articles » justifiant son utilisation. Je vous renvoie pour ça à l’excellent Pipeline de Derek Lowe qui fait le meilleur boulot de veille bibliograhique sur les thérapeutiques du COVID-19. En France, nous avons pu bénéficier en direct de la pression médiatique mise par les promoteurs de ce traitement (Hydroxychloroquine-azithromycine) et son effet dévastateur. Ceci est très bien analysé dans cet article grand public de Damien Barraud qui résume remarquablement la problématique.
Un des aspects les plus effrayants de cette histoire est la défense par nombre de figures médiatiques et de médecins de l’utilisation de l’hydroxychloroquine sans essai clinique randomisé (ECR, en anglais RCT pour randomized clinical trials). L’ECR est la base de la médecine basée sur les preuves. Seule cette approche dans des maladies fréquentes (le covid-19 en est une avec ces 1 850 000 cas) et avec une survenue d’événements suffisants (80% de patients pauci ou asymptomatiques (ce sera probablement encore plus), 20% nécessitant une hospitalisation et 5% la réanimation) et une mortalité dont la fréquence est connue (il est probable que sur l’ensemble des infectés on se situe entre 0,5 et 1,5%) permet d’avoir des réponses claires. Le bon design pour l’utilisation de l’association était de randomiser les patients dès le diagnostic, avant l’atteinte grave, entre traitement et placebo et d’utiliser comme critère d’évaluation soit la mortalité soit la nécessité de passage en réanimation. Il fallait faire un calcul d’effectif et assigner au hasard les patients qui recevraient un traitement ou pas. Comme l’association n’est pas dénuée d’effets secondaires en particulier cardiaques ceci est tout à fait licite sans perte de chance majeure pour les patients. Ceci était renforcé par le fait que les APS bien que réduisant la réplication virale in vitro de nombreux virus n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité clinique dans les viroses (bonne synthèse ici). Par exemple dans le Chikungunya, la chloroquine ne diminuait pas les symptomes, voir les aggravait, mais en plus avait un effet retardant la mise en place de l’immunité antivirale. Il semblait tout à fait licite de proposer un essai randomisé. Ce ne fut pas le choix fait, je le regrette et tout le monde devrait le regretter.
Le plus étonnant reste que de nombreuses personnes trouvèrent qu’il n’était pas éthique de proposer un essai randomisé, alors que ceci est indispensable. Cette question, du pourquoi du refus du RCT, me turlupinait depuis un certain temps quand je me suis souvenu hier d’un article remarquable de l’année dernière. Je crois avoir dit sur twitter que c’était probablement un des articles les plus importants de 2019. Il s’agit d’un article de sciences sociales dont la lecture pour le médecin non anglophone, que je suis, n’est pas facile, mais il est vraiment très intéressant. Je vous en conseille vraiment la lecture.Lire la suite
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