[RussEurope-en-Exil] Stephen Bourque, la question des victimes civiles françaises des bombardements alliés et le piège du point de vue « doloriste », par Jacques Sapir

Le livre de Stephen Alan Bourque, Au-delà des Plages – La guerre des alliés contre la France[1], qui vient de paraître aux éditions Passes Composés, dans une traduction due à Simon Duran va provoquer un important et salutaire débat. Stephen Bourque est un historien issu de l’institution militaire qui a enseigné au School of Advanced Military Studies et qui est professeur émérite au U.S. Army Command and General Staff College. Disons-le tout de suite, ce livre, au delà d’un sous-titre racoleur, est une excellente initiative. En remettant au premier rang la question des pertes civiles induites par les bombardements aériens anglais et américains elle permet de ré-ouvrir un débat qui fut largement occulté depuis les années 1950. Ajoutons que ce livre cherche à aborder cette question dans son aspect global, qu’il le fait sur la base d’une bibliographie importante et d’une étude relativement exhaustive des sources préfectorales d’époque. Tout ceci faisait que l’on pouvait espérer un ouvrage si ce n’est définitif mais qui du moins conterait pour des années sur cette question. Mais, la qualité d’un livre ne découle pas uniquement de la pertinence du sujet, de l’ampleur de la documentation réunie, ni même des qualités de son auteur.

Un livre important

Non que ce livre soit négligeable. Il traite en profondeur de questions importantes comme l’ampleur des dégâts provoqués par ces bombardements et les pertes humaines. Il établit à 60 000 les pertes civiles françaises, en reconnaissant d’ailleurs l’imprécision de certains chiffres. Il présente aussi trois débats qui furent ceux des responsables, de Eisenhower et des responsables politiques aux chefs aériens. Le premier porte sur le choix des cibles : fallait-il, dans l’optique du débarquement et des combats qui le suivirent attaquer le système de transport français ou utiliser l’arme aérienne comme une « super-artillerie » attaquant des objectifs tactiques dans le but de minimiser les pertes de l’armée de terre. Le second porte sur la nature de l’arme aérienne : peut-elle à elle seule détruire au sens large la logistique et les moyens de production de l’ennemi, et arriver ainsi à son affaiblissement stratégique, voire son anéantissement, ou bien doit-elle être intégrée dans l’ensemble du combat, et donc soumise aux impératifs tactiques. Le troisième porte sur le choix des moyens : une fois la décision prise de subordonner l’arme aérienne au débarquement en Normandie, décision qui entraina un long conflit entre D. Eisenhower et les chefs du bombardement stratégique américain (Spaatz) et britannique (Harris), fallait-il utiliser plutôt les chasseurs-bombardiers, les bombardiers moyens, ou les bombardiers lourds ?
Ces débats sont primordiaux pour comprendre la question des pertes civiles. Ils sont traités à plusieurs reprises dans l’ouvrage, mais souvent de manière confuse, parfois répétitive, et régulièrement en négligeant certaines données clefs qui seules permettent de jauger, et peut-être juger, les décisions prises.Lire la suite

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