Le livre écrit par Lana Chhor est un livre singulier d’une grande finesse, qui est profondément touchant et singulièrement intéressant. Il s’adresse à de nombreux lecteurs et va toucher énormément de monde[1]. Lana Chhor est française, née dans un camp de réfugiés en Thaïlande, d’origine tant chinoise que khmer. Elle n’a pas connu directement la période qu’elle évoque, le génocide de son propre peuple commis par les Khmers rouges, mais sa famille en a subi les meurtrissures et a été contrainte à l’exil. Pourtant, dans ce livre, et cela en fait toute l’importance, le récit du génocide n’occupe pas la place principale, même s’il court dans tout l’ouvrage. Ce livre est en réalité une réflexion sur l’identité.
La mémoire douloureuse de l’auto-génocide cambodgien
Ce livre commence par un récit. En apparence, il s’agit de décrire comment, une jeune française, d’origine khmer, retourne dans son pays, dans le cadre d’une ONG pour donner des cours aux enfants. Les premières pages sont justement le récit de ce choc entre un pays fantasmé et un pays réel, mais aussi choc inversé car les habitants sont eux-mêmes surpris par ce qu’ils prennent pour une touriste et qui parle aussi bien le Khmer. Ce retour au pays qui fut, tous les exilés qui l’ont fait en gardent le goût doux-amer. Lana Chhor n’a jamais connu le Cambodge. Ses souvenirs commencent dans le camp de réfugiés, et se poursuivent en France. Le Cambodge, elle en a, naturellement, entendu parler dans sa famille. Elle a lu, aussi, des documents, des textes ou autres, racontant l’histoire de ce pays et la tragédie qu’il a connu, une tragédie que la justice internationale vient tout juste de reconnaître[2]. Mais, elle ne connaît qu’un Cambodge des livres, de la parole familiale. Pour elle, ce voyage, c’est surtout, au départ, le choc des rencontres, qu’elle décrit de manière très fine, avec des gens, des petites gens, qui sont toutes des survivants.
Alors, de cette tragédie, elle va en parler. Sa description du « Musée du Génocide » sonne particulièrement juste ainsi que celle du centre d’archives Bophana de Phnom Penh. Mais, ce qui frappe encore plus est l’intériorisation du génocide, qu’elle appelle très justement un « auto-génocide », et les comportements qui en découlent, et qui se perpétuent dans le Cambodge d’aujourd’hui. La rencontre avec son cousin germain est extrêmement symptomatique de cela. Il y a trop de non-dits, trop de choses cachées, et la communication véritable ne peut s’établir. La folie meurtrière des Khmers rouge avait une logique : celle d’une soi-disant pureté de la « race khmère ». Elle en démonte très clairement le mécanisme.Lire la suite