Éric Juillot, professeur certifié d’Histoire-Géographie depuis 1995, et titulaire d’un Master d’Études politiques à l’EHESS sous la direction de Marcel Gauchet, est l’auteur de « La déconstruction européenne » (Xenia, 2011).
Les soubassements d’une crise : l’exceptionnalisme américain comme force déstabilisatrice
« Nous savons tous que l’Iran est méchant »1https://www.latribune.ca/actualites/monde/iran-washington-met-laccent-s… jQuery("#footnote_plugin_tooltip_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); : S’il fallait en une phrase illustrer la saisissante ingénuité qui détermine le rapport au monde de beaucoup d’Américains, celle-ci conviendrait parfaitement. Elle a été prononcée, non pas par un enfant de cinq ans, mais par le représentant démocrate Adam Smith le 21 mai dernier, au cours d’une audition à huis clos du secrétaire d’État Mike Pompeo par des membres du Congrès des États-Unis à propos de l’actuelle crise qui oppose Washington à Téhéran. Cette façon de s’exprimer met inopinément en relief l’un des ressorts les plus profonds de cette crise : le sentiment d’élection gravé au fond du nationalisme américain depuis que les États-Unis existent. Persuadée d’avoir été choisie par la Providence pour accomplir une « destinée manifeste »2L’idée de « destinée manifeste » s’est affirmée au cours des années 1840. Plusieurs fois remaniée, elle exprime cependant avec constance la foi dans le caractère exceptionnel et supérieur de la nation américaine, élue par dieu pour apporter au monde la civilisation. Pour aller plus loin : https://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-14-histoire/ jQuery("#footnote_plugin_tooltip_2").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_2", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); , « l’Amérique » se pense aujourd’hui — tout autant qu’hier — comme l’incarnation du Bien. Mais la certitude inébranlable de cette perfection morale doit être régulièrement retrempée dans la confrontation avec des États étrangers voués à incarner, de leur côté, le « Mal ». Les États-Unis attribuent donc aux pays concernés le rôle des « méchants », qui empêchent l’humanité d’atteindre au bonheur dans sa version américaine.
Ce trait culturel majeur, propre aujourd’hui à la nation américaine et à elle seule, constitue l’élément premier, fondamental, de son action dans le vaste monde. Il persiste étonnamment à travers le temps, survit à tous les démentis infligés par l’histoire et a même été singulièrement avivé par les attaques du 11 septembre 2001 : la démesure et la violence armée qui caractérisent depuis cette date la politique étrangère étatsunienne sont ultimement justifiées par la nécessité de châtier les coupables (ou prétendus tels) de ces attaques sacrilèges sur le sol américain et de réaffirmer à la face du monde la grandeur et la puissance du pays. Ce qui semble à beaucoup d’observateurs et de responsables politiques non américains relever d’un archaïsme puéril est en fait une donnée culturelle majeure et structurante pour l’immense majorité des citoyens de ce pays, dirigeants inclus, même si chez ces derniers, il s’exprime plus ou moins subtilement selon que Barack Obama ou Donald Trump occupe la Maison Blanche. S’ils sont uniques et exceptionnels, c’est donc d’abord pour cela : dans leur rapport au monde, les États-Unis ont nécessairement besoin d’avoir au moins un ennemi, et ce besoin est devenu depuis 2001, s’il ne l’était pas auparavant, un moteur de crises géopolitiques à répétition impliquant les États-Unis, indépendamment de l’état objectif des relations internationales et des conflits d’intérêts et de valeurs qui les traversent.Lire la suite