La France sur le point de devenir le premier pays de l'UE à utiliser une application de reconnaissance faciale à l'échelle nationale. Nos libertés sont-elles en danger ?
Vue de l'étranger… Article d'Henry Samuel du « The Telegraph », traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. La France est sur le point de devenir le premier pays européen à utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour donner aux citoyens une identité numérique sécurisée, une décision que les critiques estiment prématurée compte tenu des enjeux que cela représente pour la vie privée. En novembre prochain, plus tôt que la date initialement prévue de Noël et après une phase expérimentale de six mois, le gouvernement du président Emmanuel Macron s'apprête à mettre en place un programme d'identification baptisé Alicem. Alicem – acronyme pour « authentification en ligne certifiée sur mobile » – est une application permettant à « tout individu qui décide de l'utiliser de prouver son identité sur Internet de manière sécurisée », précise le site du ministère de l'Intérieur. L'application lit la puce sur un passeport électronique et recoupe la photo biométrique qui y est apposée avec l'utilisateur du téléphone par reconnaissance faciale afin de valider son identité. Une fois celle-ci confirmée, l'utilisateur peut accéder à une foule de services publics sans autre vérification. Cependant, la CNIL, l'autorité française de régulation des données personnelles, a averti que le programme viole la règle européenne du consentement parce qu'il n'offre aucune alternative à la reconnaissance faciale pour accéder à certains services. Des craintes concernant les normes de sécurité de l'État ont été soulevées en début d'année après qu'un pirate informatique a mis environ une heure pour pénétrer une application de messagerie « sécurisée » du gouvernement, mettant ainsi en question l'affirmation de celui-ci selon laquelle une telle technologie était « pratiquement » inviolable. La nouvelle application française de reconnaissance faciale d'identité va recouper l'image biométrique des passeports avec les images de selfie sur le smartphone d'un utilisateur. Crédit : Reuters Le ministère de l'Intérieur continue cependant d'aller de l'avant, prévient Martin Drago, avocat de La Quadrature du Net, un groupe de protection de la vie privée qui conteste cet outil devant la plus haute juridiction administrative française. « Le gouvernement veut forcer les gens à utiliser Alicem et la reconnaissance faciale. Nous nous dirigeons vers une utilisation massive de la reconnaissance faciale. (Il y a) peu de considération quant à l'importance du consentement et du choix », a-t-il précisé à Bloomberg. La France ne fait que suivre ainsi une tendance mondiale vers les « identités numériques » qui permettent un accès sécurisé à une gamme de services allant des comptes bancaires aux déclarations fiscales. Singapour a signé un accord pour aider le Royaume-Uni à préparer son propre système de reconnaissance faciale. Les critiques mettent en garde contre le fait que de tels outils posent de sérieux risques pour la vie privée, alors que des pays comme la Chine intègrent la biométrie de reconnaissance faciale dans les bases de données contenant l'identité des citoyens. La France insiste cependant sur le fait qu'elle ne fera pas de tels recoupements et que les images utilisées pour la reconnaissance faciale seront effacées « dans les secondes qui suivent » l'enregistrement. [ N.D.L.R., peut-on le croire ?] « L'utilisation de la reconnaissance faciale française pour l'identité numérique peut être vue de deux façons », a déclaré Patrick Van Eecke, spécialiste de la vie privée et des données chez DLA Piper à Bruxelles. « Ou cela va trop loin en termes de vie privée, ou alors ils mettent en place la plus sûre des nouvelles technologies. Sont-ils des pionniers ou dépassent-ils les bornes ? » Le dispositif ALICEM de reconnaissance faciale, Martin Drago, juriste et membre de la Quadrature du Net, en parle sur « LaMidinale ». Sur l'usage des technologies à reconnaissance faciale :
- « Il y en a déjà dans les aéroports et il y a eu une expérience lors du carnaval de Nice pendant trois jours ! La police peut accéder et faire de la reconnaissance faciale avec un fichier… et il y a cette expérimentation dans les lycées qui arrive. »
- « Ce qui a motivé notre recours, c'est qu'il faut commencer à réfléchir à l'interdiction, voire à un moratoire sur le développement de cette technologie. »
Sur le projet ALICEM qui pourrait se déployer dès novembre en France :
- « ALICEM n'est pas une expérimentation, c'est un dispositif finalisé. »
- « ALICEM sert à créer une identité numérique sur Internet pour accéder à certains services publics (…) et quand vous voulez créer cette identité numérique, vous êtes obligé de passer par un dispositif de reconnaissance faciale. »
- « Pour l'instant, ça n'est que pour les gens qui disposent d'un téléphone Androïd et un passeport biométrique : il faut scanner avec le téléphone la puce du passeport biométrique et ensuite il faut prendre une vidéo de soi. »
- « Le problème, c'est que le gouvernement nous explique que pour le faire, on a le consentement des gens (…), ce qui n'est pas le cas parce que vous êtes obligé de passer par un dispositif de reconnaissance faciale. »
Sur les dérives possibles du dispositif :
- « Le problème, c'est ce que veut faire le gouvernement des données liées à la reconnaissance faciale : le gouvernement ne respecte pas le RGPD [règlement général sur les données personnelles] sur cette notion de “consentement libre” car on ne peut pas contraindre les gens à utiliser leurs données personnelles. »
- « Il y a le discours du gouvernement, notamment celui de Christophe Castane, qui fait le lien entre la haine, l'anonymat en ligne et le dispositif ALICEM. »
- « Aujourd'hui, ALICEM n'est pas encore obligatoire pour tout le monde mais le risque c'est : que se passera-t-il demain ? »
- « Avec ALICEM, la CNIL dit que le gouvernement ne respecte pas le RGPD. Le gouvernement n'en a pas tenu compte et a publié le décret d'application ce qui nous a motivé à l'attaquer. »
Sur les libertés individuelles :
- « La reconnaissance faciale, telle qu'elle est voulue, c'est l'outil final de reconnaissance et de surveillance de masse dans la rue. »
- « Contrairement à l'ADN ou les empreintes, on sait quand on vous les prend. S'agissant du visage, on ne sait pas quand une caméra va vous repérer ou vous identifier. »
- « C'est un dispositif qui peut être partout dans la rue et c'est une possibilité notamment dans le cadre des Jeux Olympiques de 2024 que le gouvernement voudrait mettre en place. »
- « Ce dispositif a un effet énorme sur les libertés d'aller et venir, sur notre vie privée et aussi sur notre liberté d'expression et de manifester : si vous savez qu'en allant manifester, vous aller être identifié, vous n'allez peut-être pas manifester de la même façon. »
- « Cette technologie est un normalisme : elle existe déjà sur certains téléphones portables et si vous l'utilisez pour accéder aux services publics ou pour entrer dans votre établissement scolaire, ça normalise la technologie et quand ça va arriver dans l'espace public, vous n'allez plus tellement réfléchir aux dangers pour les libertés. »
Sur l'acceptation sociale de cette technologie face à l'insécurité :
- « Le gouvernement va utiliser l'argument de la peur et du terrorisme pour pousser ces technologies. »
- « On parle de reconnaissance faciale mais il y existe aussi une assemblée de nouveaux outils, de nouvelles technologies de surveillance qui se développent, comme la vidéo de surveillance intelligente - qui va repérer certains comportements dans la foule - ou des micros - comme à Saint-Etienne qui vont repérer certains bruits. »
- « On a lancé le mouvement Technopolis qui permet de se renseigner, de bien comprendre ces technologies, de les analyser, de voir les dangers sur les libertés. »
- « C'est pas parce qu'on est frappé par un attentat qu'on a envie d'avoir ces technologies. »
Sur le modèle chinois :
- « Il ne faut pas faire la comparaison avec le modèle chinois parce qu'en France, il se passe déjà des choses assez graves : la vidéo de surveillance intelligente a déjà lieu à Valenciennes et à Toulouse. La reconnaissance faciale ainsi que des micros sont déjà en place dans certaines rues. »
- « On a tendance à dire qu'en France, on n'en est pas encore comme en Chine. Alors que si, en France, il se passe des choses très graves. »
Autre source 1, Autre source 2 Réflexion… Les emmarcheurs, et les médias en marche, nous bassinent à nouveau sur l'interdiction du port du voile, accompagnée désormais par une diabolisation du port de la barbe. On peut être pour ou contre, mais… suivant quel critère ? Est-il possible que cette contestation exacerbée envers le voile soit une excuse pour faciliter la mise en place d'un projet plus vaste de surveillance de masse généralisée et automatisée ? Alors question provocatrice : le port du voile ne serait-il pas notre salut ?
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