Source : The New York Review of Books, David Graeber, 05-12-2019
Dana Schutz/Petzel, New York City
De plus en plus, ceux qui ont la responsabilité de gérer les grandes économies ont le sentiment que l’économie en tant que discipline n’est plus à la hauteur de sa mission. Elle commence à ressembler à une science conçue pour résoudre des problèmes du passé.
L’obsession de l’inflation en est un bon exemple. Les économistes enseignent encore à leurs étudiants que le rôle principal de l’État en matière économique – beaucoup iraient jusqu’à dire son seul rôle économique vraiment légitime – est d’assurer la stabilité des prix. Que les dangers de l’inflation appellent une vigilance constante. Que le simple fait, pour des gouvernements, de faire tourner la planche à billets est donc en soi un péché. Que si, en revanche, l’inflation est maîtrisée grâce à l’action coordonnée du gouvernement et des banques centrales, le marché devrait trouver son « taux de chômage naturel », et les investisseurs, profitant de signaux de prix clairs, devraient être en mesure d’assurer une croissance saine. Ces hypothèses sont apparues avec le monétarisme des années 1980 – l’idée selon laquelle l’État devait se limiter à la gestion de la masse monétaire – et elles étaient devenues des évidences dans les années 1990, tant et si bien que la quasi totalité du débat politique reposait sur le postulat que les dépenses publiques représentaient un danger. Cela continue d’être le cas bien que, depuis la récession de 2008, les banques centrales ne cessent de faire frénétiquement tourner la planche à billets dans le but de créer de l’inflation et de contraindre les riches à employer leur argent à quelque chose d’utile, et qu’elles aient pour ainsi dire échoué dans ces deux entreprises.
Aujourd’hui, nous vivons dans un univers économique différent de celui a précédé la crise. La baisse du chômage n’entraîne plus de poussée salariale. La création monétaire ne provoque pas d’inflation. Pourtant, les termes du débat public et la sagesse véhiculée par les manuels d’économie demeurent quasi inchangés.Lire la suite
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