Comment on organise une révolution : l'exemple roumain ! Comment résister à la subversion ?

Voici un documentaire réalisé par Branstatter Susan sur les dessous de la révolution Roumaine intitulé « Echec et mat – Stratégie d'une révolution » qui fut diffusé par la chaîne franco-allemande Arte à la fin de l'année 2004. Dans ce documentaire est faite la description méthodique des moyens employés par les services secrets américains et occidentaux pour faire tomber le régime ceausescu devenu dérangeant, l'existence de cette dictature étant un obstacle à l'unification de l'Europe sous la bannière américaine. Généraux, anciens responsables de la CIA, spécialiste français des services secrets, anciens premier ministre , révolutionnaires et simples citoyens témoignent. Le cas roumain traité dans ce documentaire est un exemple, un cas d'école à partir duquel on peut tracer des parallèles avec des situations plus récentes (Cote d'ivoire, Lybie, Ukraine, Syrie etc.) Le modus opérandi du « regime change » est déjà largement connu par ceux qui s'informent par les médias alternatifs, ceux là n'apprendront donc rien de cet article sur les méthodes employées mais comme le disait Goethe, tout a déjà été pensé, l'important c'est d'y penser à nouveau , les meilleurs documentaires sont ceux qui racontent ce que l'on sait déjà surtout s'ils permettent de systématiser et d'ordonner des pensées éparses. Comment donc organiser une révolution ?

  1. Ouverture :

- Identifier et répertorier dans le pays ciblé les forces d'oppositions par l'intermédiaire d'une puissante action de renseignement, - Recruter les personnes ayant suffisamment de crédibilité et d'impact pour arriver à mobiliser la population contre le régime en place pour le déstabiliser. Concrètement, les agents de renseignements repèrent, contactent et accompagnent les dissidents et exploitent (ou créent le cas échéant) un climat favorable à l'insurrection.

  1. Combinaison :

-Mettre en contact les différentes mouvances de l'opposition -Préparer et construire la crédibilité du futur chef de l'Etat afin qu'il fasse consensus dans les mouvements d'opposition -Préparer le remplacement l'infrastructure politique existante par une autre

  1. Attaque couverte :

-Mener une puissante action de propagande depuis l'extérieur du territoire cible pour ternir l'image du régime en place en propageant l'idée selon laquelle il est hait de la population qu'il gouverne afin de le mettre au ban des nations. -Légitimer les mouvements d'oppositions qui vont apparaitre en renforçant leur influence dans la population. Concrètement, il faut conditionner la population en menant une guerre de l'information contre le régime en place par la mise en place d'une propagande noire c.à.d. provenant officiellement d'un groupe de dissident présent à l'intérieur du pays concerné mais élaboré en réalité à l'extérieur du pays cible. 4. Echec au roi : -Former des agitateurs professionnels chargé de galvaniser les foules afin d'entrainer des révoltes pour faire pression sur le pouvoir en place par des manifestations populaires instrumentalisées. -Former des personnes à l'action paramilitaire et à la guérilla dans des camps à l'étranger (de préférence dans les pays frontaliers) et les infiltrer dans les mouvements d'opposition pour déstabiliser de l'intérieur le pays cible -Utiliser des tireurs d'élite pour créer un climat insurrectionnel et faire des victimes ( car sans un certain nombre de victime ,une révolution n'est jamais crédible ) pour fabriquer les circonstances qui vont permettre de déclencher la révolution. -Manipuler des chiffres du nombre de victimes civiles afin de susciter un rejet général du régime en place 5. Echec et mat : -Mettre en mouvement l'opposition et les forces populaires et obliger le régime en place à réagir de façon brutale et meurtrière afin de détruire les débris de légitimité qu'il lui reste. -Faire intervenir les pays voisins et amis pour des raisons humanitaires. - recruter de nombreuses personnes à des postes clés dans le régime et le renverser en faisant converger une révolution de palais à la révolution populaire. 6. Post mortem -Rétablir la sécurité et permettre l'accession au pouvoir d'un nouveau gouvernement reconnu qui à son tour va placer ses cadres au sein de la population pour l'influencer. Contre-mesures Des contre mesures à ces manouvres de subversion existent-elles ? Les méthodes de subversions sont aussi vieilles que la politique, on en trouve des traces dans des ouvrages théoriques vieux de plusieurs millénaires comme « l'art de la guerre » de Sun Tzu ou encore dans des récits historiques tout aussi vieux comme « la guerre du Péloponnèse » de Thucydide. Le grand principe de la subversion consiste à détecter les tendances internes à la société du pays cible qui sont antagonistes, à capitaliser sur leurs divisions pour radicaliser les conflits afin de rendre impossible tout consensus ou compromis et faire imploser la société de l'intérieur. Tullius Detritus, un semeur de zizanie romain de la bande dessinée Astérix le Gaulois il propage la discorde partout derrière lui , il est convoqué par Jules César qui veut dissoudre l'amitié des Gaulois afin de les conquérir. Ainsi, il n'est plus nécessaire de faire la guerre à l'ennemi : on le conquiert de l'intérieur. Soumettre l'ennemi par la violence n'est pas le summum de l'art de la guerre, le summum de cet art est de soumettre l'ennemi sans avoir à le combattre. Cependant, la subversion ne peut fonctionner que lorsque la cible est réceptive, c.à.d. qu'elle incube en elle de graves antagonismes. Les révolutions ne se déclenchent pas ex-nhilo, aucun acteur politique n'à le pouvoir de les créer de toutes pièces à partir de rien, il faut un terreau favorable, un contexte permettant la réussite des méthodes de subversion. De bons services de renseignements et particulièrement de contre espionnages peuvent ponctuellement, à court et moyen terme empêcher la réalisation de telle ou telle autre manœuvre de subversion venant d'un ennemi mais sur le long terme , seule l'unité du corps politique permet d'y être réfractaire. L'unité politique à tout prix : la République de Platon Dans les utopies d'unicité de la cité, cette dernière est toujours présentée comme un tout et les bons rois sont toujours soucieux du bien public qu'ils poursuivent en accord avec le peuple. La cité est perçue comme un tout au sein duquel minorité et majorité seraient unies par une solidarité collective : tous les éléments collaborent, chacun à sa place. Tel est le cas de la « République ». Platon est convaincu que les divers régimes connus ont tous péri par l'effet des divisions sociales auxquelles ils ont donné naissance. Il institue donc une citée ou chacun se tient préalablement à sa place et en est content : toute la démarche de la « République » vise à définir cette harmonie qui se confond avec la justice. Pour imaginer un Etat conforme à ce principe, Platon doit empêcher que se développent les différences sociales qui donnent naissance aux divisions : le communisme de la république n'a pas d'autre but. Le communisme de Platon ne se réclame pas du droit de chacun à des biens semblables mais au besoin d'entente entre tous, cela est si vrai que la communauté des biens, dans sa cité idéale, se limite aux gardiens qui ne posséderont rien en propre. Il est clair que le but de ses mesures est toujours l'union, grâce à elle, il y'aura entre tous harmonie, communauté de plaisir et de peines, il écrit : « Peut-on citer pour un Etat un plus grand mal que celui qui le divise et d'un seul en fait plusieurs et un plus grand bien que celui qui l'unit et le rend un ? On ne le peut. Or ce qui unit, n'est ce pas la communauté de la joie et de la douleur, lorsque, dans la mesure du possible, tous les citoyens se réjouissent et s'affligent également des mêmes succès et des mêmes disgrâces ? » Le communisme chez Platon est donc la condition de l'unité qui seule évitera la tyrannie intérieure d'un groupe sur un autre, née des dissensions et des craintes réciproques. A cet égard, l'emploi du mot communisme ne doit pas tromper en suggérant des rapprochements grossièrement injustifiés. Le communisme Platonicien vise à créer l'union des citoyens sous la direction de philosophes longuement formé à cette intention et il tend par conséquent non pas à niveler mais à instaurer une hiérarchie harmonieuse et acceptée. Le régime de la république est profondément religieux, le premier de tous les objectifs proposés étant l'imitation de la loi divine et le désir de gagner l'amour des dieux par la pratique des vertus .L'union sacrée de la cité platonicienne est donc fondée en fin de compte sur l'idée de l'unicité du Bien qui est d'essence divine. Et cette union est si difficile à instituer, si menacée à chaque instant qu'elle nécessite des moyens de contrôle rigoureux pour prévenir et châtier les infractions. Le régime est totalitaire, étroitement surveillé et sans communication avec l'étranger. Cependant, avec la merveilleuse unité de la cité idéale évoquée dans la république, on s'éloigne de l'expérience concrète, Platon lui-même n'ignorait pas qu'il traçait là un tableau idéal et irréalisable. Aristote, entre autres, fait une critique approfondie et sévère de la solution platonicienne, il se refuse à admettre que l'unité d'une cité repose sur la similitude de tous : pour lui l'unité de la cité vit de sa diversité, la cité par sa nature est multiple, elle se compose d'une pluralité d'individus et ces individus sont différents entre eux. Du réalisme politique : La société hétérogène L'homogénéité communautaire, l'identité et l'idéologie unitaire au sein d'un corps politique est une utopie, un mythe n'existant que dans certains livres. Le tableau des dissensions en Grèce explique en réaction le foisonnement d'utopies politiques comme celle de Platon. Thucydide l'atteste : l'expérience contemporaine était celle d'une division passionnée au sein de toutes les villes grecques. L'historien en a même dégagé les raisons dans une analyse sur les désordres de la guerre civile, il y explique que la guerre qui opposait Athènes et sa démocratie à l'oligarchie de sparte offrait un recours aux partisans qui, un peu partout , voyaient là une occasion d'obtenir du soutien. L'Etat ne se présente donc pas sous la forme homogène d'un corps civique uni : il apparait divisé en groupe sociaux, idéologiques, ethno-communautaires distincts. Dans une société hétérogène la conflictualité est inévitable. L'art politique ne consiste pas tant à éviter les conflits qu'à les surmonter. C'est précisément ce que ne voit pas Platon dans son utopie, il ne peut se contenter d'accords plus ou moins durables entre camps opposés, de fait, il cherche à définir une citée ainsi constituée que la concorde y soit naturelle et antérieure à toute division. La politique consiste à faire commun avec le multiple, l'unité du corps politique n'advient pas spontanément, il faut y travailler durement et lorsqu'elle advient, elle ne se maintient pas éternellement, la cohésion sociale est une lutte de chaque instant qui requiert en permanence des efforts politiques collectifs et des talents politiques individuels. L'approche Machiavélienne : le rôle décisif des institutions ! « On peut conclure que toutes les fois qu'on voit des forces extérieures appelées dans un État par des hommes qui vivent dans une cité, on peut attribuer ce désordre au vice de ses institutions ; c'est à dire du fait qu'elles ne présentent pas de moyens légitimes au peuple d'exhaler son mécontentement ». Nicolas Machiavel. Dans des sociétés hétérogènes comme nous les connaissons, le problème du droit d'un groupe à représenter la cité se pose. Une minorité peut gouverner (et constituer par définition une oligarchie) et imposer sa loi aux autres parties du corps politique mais elle ne saurait produire le régime de tous. On ne saurait être surpris de voir, dans un tel régime, une autre minorité déclencher la révolution et la guerre au nom d'une option politique qui s'identifie à ses yeux avec le bien de l'Etat. En effet ,une poignée d'hommes monopolisant et tirant tous les bénéfices de l'exercice du pouvoir et qui est autiste aux revendications sociales des diverses tendances animant le corps politique ne peut que faire naître un sentiment d'exclusion et de frustration, qui , s'il s'exacerbe , poussera ces tendances à s'organiser en factions et à renverser le régime en place quitte à accepter d' être instrumentalisées par des puissances étrangères qui sauteront sur l'occasion pour mener leurs projets de subversion. Le problème qui se pose ici est donc de définir le rapport entre un groupe au pouvoir et la cité dans son ensemble. Le groupe au pouvoir doit être capable de fédérer le corps politique par la promotion d'une identité collective supérieure autour d'un projet politique. Les diverses tendances dans la citée doivent être associées à ce processus, il faut leur faire une place, elles doivent être écoutée sinon ces diverses sensibilités se radicaliseront, sortiront du projet le projet politique supérieur et se retourneront contre lui. Solon, par exemple, à qui l'on faisait remonter le début de la démocratie Athénienne avait tenté non de supprimer le conflit entre les divers groupes sociaux mais de l'apaiser, il avait joué le rôle d'arbitre et imposé aux différents groupes des concessions que réclamait le bien de la cité. Il le dit lui-même : « je suis resté debout couvrant les deux partis (l'aristocratie foncière et les autres) d'un fort bouclier et je n'ai laissé aucun vaincre injustement ». Solon n'avait pu sauver la cité qu'en empêchant l'hostilité de tourner à la guerre civile. La réconciliation entre les divers groupes se traduira par l'élaboration des institutions qui permettront de transcender les affrontements politiques pour fonder une citée unie, ce sont elles qui associeront à la gestion de la cité des camps qui jusqu'alors, tendaient à s'exclure l'un l'autre. Ce sont ces institutions qui empêcheront les spoliations et les mesures tyranniques d'un groupe à l'égard des autres, qui ménageront les groupes minoritaires et les associeront à la gestion de l'Etat tout en réservant aux groupes majoritaires les postes principaux. Le rôle des institutions est donc de ramasser en un tout bien cimenté des éléments épars et souvent opposés, elles assurent la concorde civile. De bonnes institutions ne supprimeront pas pour autant les mécontentements au sein du corps politique, mais elles doivent permettre aux mécontents de s'exprimer et leur donner le sentiment d'être écouté. Nicolas Machiavel recommande aux instituteurs de donner une voie légale à l'expression des dissensions internes au risque qu'elles expriment leur mécontentement par des moyens illégaux , comme en s'organisant en milice ou en recourant à des puissances étrangères , il écrit « Nous observerons combien il est utile, important, dans une république, d'avoir des institutions qui fournissent à l'universalité des citoyens des moyens d'exhaler leur mécontentement. À défaut de ces moyens, autorisés par la loi, on en emploie d'illégitimes qui produisent, sans contredit, des effets bien plus funestes. En effet, ce mécontentement ne doit s'exercer ni par la force réunie des particuliers en faction, ni par les secours d'aucune force étrangère, deux causes puissantes de la ruine de l'Etat. Mais il doit s'exercer par une force légale et les institutions publiques, contenues dans des bornes qu'elles ne dépassent pas au point de renverser la République ». Les bonnes institutions sont donc à long terme le meilleur moyen pour une cible d'être réfractaire à la subversion de son ennemi. Conclusion La cause externe ne peut agir que par l'intermédiaire de la cause interne, en d'autres termes, la subversion ne peut fonctionner que dans un Etat pourvu de mauvaises institutions et dont le corps politique est divisé en tendances antagonistes résolues à s'affronter. La subversion n'est au fond que l'étincelle qui allume la mèche d'une poudrière. Sources : Christian MOISE
Voir en ligne : http://www.agoravox.tv/IMG/jpg/revolution-roumaine-echec-mat.jpg

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