Chypre : la colonisation oubliée

C'est une histoire contemporaine dont on entend très peu parler. Une histoire pourtant en marche dans un des pays membres de l'U.E., Chypre. Quelques repères historiques pour comprendre : * 1571 : Après la conquête ottomane de l'île, près de 30 000 colons Turcs s'y installèrent. Une partie des insulaires autochtones se convertirent alors à l'islam et l'installation de colons musulmans à Chypre continua jusqu'à la fin de la période ottomane. * 1960 : Chypre obtient son indépendance. La population est alors composée d'une très large majorité de Chypriotes grecs (82%) et d'une minorité Turque (18%). Malgré cette disproportion, la constitution chypriote garantit 30 % des postes dans la fonction publique et 40 % dans la police en plus d'un droit de véto à la minorité turque. * 1962 : Adhésion au Conseil de l'Europe * 1963 : Les violences inter-ethniques commencées en 1955 explosent en décembre 1963 et signe la fin des espoirs de cohabitation pacifique. * Début 1964 : Chypre est à feu et à sang. Des opérations d'épurations ethniques (destructions de villages et de mosquées, assassinats, viols) sont commises par la partie grecque, ce qui provoque des représailles du côté turc. Les Chypriotes grecs profitent de la politique de la chaise vide, décidée en janvier 1964, par les représentants chypriotes turcs, dans toutes les instances représentatives, pour faire passer des lois rééquilibrant les pouvoirs conformément au prorata démographique. Les Chypriotes turcs très liés au pouvoir d'Ankara s'enfoncent quant à eux dans la logique de la séparation également promue par la Turquie, provoquant de ce fait les conditions de leur mise à l'écart. Le TMT, milice chypriote turque, provoque de manière concertée des incidents, auxquels les Chypriotes grecs répondent de manière toujours plus disproportionnée. Les dirigeants chypriotes turcs poursuivent, durant tout l'hiver 1964, cette politique du pire dans le but de démontrer que leur sécurité est en jeu et que la partition est la seule solution préservant leur existence même. Cette politique se concrétise, dans les premiers jours de juin, par l'appel de la communauté chypriote turque à la Turquie, pour qu'elle intervienne militairement afin d'assurer sa protection. S'en suit une médiation secrète qui va échouer des E.U.A. entre la Grèce et la Turquie (par ailleurs alliées au sein de l'OTAN) sur la question chypriote afin d'éviter une guerre entre ces deux pays susceptible de déstabiliser le flanc sud-est de l'OTAN. Envoi d'un important contingent de Casques bleus (UNFICYP) sur l'île en mars 1964, à l'issue de l'adoption de la résolution 186. * 1974 : Coup d'État de la Garde nationale chypriote soutenue par les colonels grecs contre le Président Makarios III en vue de rattacher l'île à la Grèce. Intervention de la Turquie au prétexte de la protection de la minorité turque. Cette intervention militaire, justifiée par l'existence d'un traité de garantie de la Constitution de 1960, devait rétablir l'ordre constitutionnel dans l'île. Malgré l'echec du coup d'Etat, l'invasion turque fut maintenue coupant l'île en deux. La république de Chypre se retrouva donc amputée de plus de 30 % de son territoire occupé militairement par l'armée turque. D'importants transferts de populations ont eu lieu : des Chypriotes grecs vont devoir abandonner le nord de l'île et inversement les Chypriotes turcs du sud. * 1983 : la partie occupée de Chypre se déclara République turque de Chypre Nord (RTCN), mais, étant issue d'une violation flagrante des règles de droit international, elle n'est pas reconnue par le reste de la communauté internationale (elle ne dispose pas de siège à l'ONU), à l'exception de la Turquie. Au cours des opérations, environ mille six cents Chypriotes grecs ont disparu, sur le sort desquels la Turquie a toujours refusé de donner la moindre indication. Des renseignements fournis par des services secrets, publiés par la Tribune de Genève, indiquent néanmoins qu'un grand nombre fut exécuté rapidement alors que d'autres restèrent détenus plus de vingt ans. Et depuis... c'est le statu quo. Enfin... pas tout à fait. Après l'opération Attila de 1974, la colonisation turc reprît de plus belle avec l'installation de colons originaire des régions de la mer Noire et méditerranéenne pour occuper les terres des Chypriotes grecs qui avaient fui l'invasion, qui ont été tués ou qui ont été chassés. Ces "nouveaux arrivants", appelé « Türkiyeli göçmenler » (signifiant immigrés turcs) constituent plus de la moitié de la population actuelle de la république de Chypre du Nord. Les Chypriotes grecs sont donc partiellement colonisés par la Turquie depuis 1974, pays qui affiche de plus en plus ouvertement ses ambitions expansionnistes et de domination en Méditerranée et an Afrique du Nord (Libye), nostalgique de son Empire qui a vu les minorités (arméniennes, chrétiennes, yézidis, grecs pontiques, etc) littéralement épurées ethniquement à la fin du 19ième et surtout lors du génocide de 1914-1916, génocide dont la Turquie n'admet toujours pas l'existence en dépit des faits accablants en attestant. L'État Turc occupe militairement illégalement un des pays d'Europe dans un silence généralisé. En 2017, l'ONU a organisé la Conférence de paix pour Chypre à Crans-Montana (Suisse). Celle-ci s'est terminée, le 6 juillet, par un constat d'échec, la partie chypriote ayant rejeté « l'accord ». Cette conférence inédite réunissait la République de Chypre, la République turque de Chypre du Nord (un pays dont l'existence est uniquement reconnue par la Turquie), l'ONU, le FMI, l'UE, la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie. L'objectif était de réunifier l'île après l'invasion et occupation illégale du Nord en 1974. La République de Chypre a fait valoir le droit international et posé comme préalable le retrait des troupes d'occupation turques, tandis que la République turque de Chypre du Nord affirmait l'intangibilité des troupes turques. Cette réunion était d'avance vouée à l'échec. L'ONU, le FMI, l'UE, le Royaume-Uni et la Turquie n'ont cessé d'exercer un chantage sur le président chypriote, Níkos Anastasiádis, pour qu'il accepte l'accord fixé par les grandes puissances en lieu et place de ses concitoyens. L'ONU présente sur place depuis 4 décennies assure la sécurité de la zone tampon entre les deux parties de l'île. Dans ce reportage hollandais sous-titré en Français d'une excellente facture, on comprend qu'il n'y aura probablement jamais de réconciliation. Trop de sang versé, trop de rancœurs, de méfiance réciproque et le poids des puissances étrangères, notamment une Turquie frériste de plus en plus résolue à retrouver son Empire, sont autant de paramètres qui cristallisent la situation. Ce reportage qui date un peu (et les 3 autres consacrés aux frontières turques) illustre également parfaitement le problème de cohabitation entre peuples différents. Il y a beaucoup d'enseignements à tirer de l'histoire chypriote... Source : l'excellente chaîne YT de VPRO à laquelle il est recommandé de s'abonner et qui propose des centaines de vidéos originales. Voir aussi dans la description du reportage toutes leurs chaînes YT thématiques : https://youtube.com/watch?v=bRg4JX_4FVE
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/mur-chypre-turquie.jpg

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