Carl Schmitt, un intellectuel au service du nazisme

Les nazis se sont référés aux lois enseignées par la biologie de leur temps pour œuvrer à l'avènement d'une race supérieure promise à la domination de toutes les autres. « Nous façonnons la vie de nos peuples et nos législations conformément à l'avis de la génétique » proclamait le manuel de la jeunesse hitlérienne. Ainsi, l'ordre politique et l'ordre international devait être calqué sur la biologie, et non sur des principes universels abstraits tels qu'ils ont été proclamés lors de la révolution française. Grand promoteur du droit d'exception dans l'entre-deux-guerres, Carl Schmitt s'est imposé comme le théoricien du droit le plus talentueux de sa génération et s'est brillamment illustré dans la construction d'un ordre juridique fondé sur des lois inscrites dans la nature. Et pourtant, il a échoué. Retour avec Johann Chapoutot à l'Académie Royale de Belgique au colloque "Le pouvoir des intellectuels, le « pouvoir des sans-pouvoir »" sur l'échec de l'un des penseurs majeurs du politique au XXe siècle, bien qu'actif compagnon de route de la monstrueuse machine nazie. Critique de Carl Schmitt

Sa critique du droit international se fonde sur le concept d'extranéité : les principes qui le régissent sont des principes étrangers à ce que doit être l'ordre international et à ce qu'est l'esprit allemand. Pour commencer, les traités qui organisent les relations internationales ont été élaboré par les ennemis de l'Allemagne. La promotion des principes universalistes n'était selon lui qu'un artifice servant à dissimuler les victoires des ennemis particularistes de l'Allemagne. Ensuite, ce droit international, en plus de servir la cause des ennemis de l'Allemagne, est formaliste. Selon Carl Schmitt le règne du formalisme juridique consacre des absurdités grotesques : par exemple, au nom de l'égalité formelle de tous ses membres, le Costa Rica et l'Ethiopie ont la même voix au chapitre que la grande Allemagne. Des pays qui ne sont pas égaux de fait deviennent égaux en dignité. Un égalitarisme qu'il juge néfaste et qui correspond aux idées de la révolution française qui est interprétée par les juristes et par les biologistes nazis comme le triomphe de la lie raciale gallo-romaine sur la noble aristocratie germanique. Comme jadis le christianisme a été promu par la plèbe de l'empire romain, cette lie révolutionnaire a fait émerger l'idée d'une égalité en droit parce qu'elle se sait inférieure. C'est aussi ce qui se joue sur le plan international : c'est à une république des nations et des peuples qu'on veut désormais donner naissance. Pour les nazis, l'abstraction est la prédisposition primordiale de l'âme juive. Nomades sans terres, ni racines, les juifs élaborent selon eux une culture cosmopolite basé sur les nombres et sur les idées abstraites. Vagabond par essence, les juifs se servent de l'abstraction pour saper les valeurs traditionnelles. Ils sont tellement ratés et faibles qu'ils ne peuvent se confronter à la réalité, il faut toujours qu'ils se réfugient dans une idéalité, que ce soit celle de l'universalisme, du formalisme juridique, de la spéculation financière ou de la physique mathématique. C'est ainsi que Carl Schmitt sera obsédé par la "déjudaïsation" des sciences juridiques et propose d'ajouter la mention "Jude" à chaque citation d'auteur juif dans un livre. Selon lui, seul le Germain, qui tire son génie du sol, dont la vie est basée sur une tradition séculaire et qui est gâté par la réalité puisqu'il est beau, fort, généreux, créateur de culture et est l'homme du grand « oui » à la vie, peut se confronter à elle. Selon cette logique, seul le juriste germanique peut fonder un ordre juridique qui s'inscrit dans les lois de la nature. Contre les chimères néfastes et nocives du juridisme, contre l'abstraction, contre le formalisme et contre tous les principes hérités de la révolution française, Carl Schmitt en appelle à une révolution normative pour revenir à réalité et va proposer sa théorie des ordres concrets. Le droit du peuple Carl Schmitt propose un droit du peuple, et au fond du seul peuple qui puisse être sujet de droit càd le peuple allemand. Il estime que la grande faute des formalistes est le raisonnement hypothético- déductif ( partir d'une norme fondamentale pour en déduire mathématiquement des normes secondaires ). Selon lui, la réalité sociale est constituée par des ordres concrets (la paroisse, la famille, la nation, la corporation etc.). Il considère qu'il faut partir de ces ordres concrets tels qu'ils ont été validés par l'expérience et par l'histoire pour en induire des normes. Le juriste doit être en quelque sorte le greffier du réel et sa créativité doit se borner à une translittération de ce qui est. Il s'agit de constater le fait et d'en induire du droit. C'est un renversement total de la conception du droit tel qu'elle est promue depuis au moins les XVIIème et XVIIIème siècle notamment chez les philosophes et les juristes jusnaturalistes qui opposent le fait au droit. Cela donne lieu à une gigantesque opération de conceptualisation de ce que doit être le nouveau droit germanique et à ce que doit être la pratique prétorienne des tribunaux qui sont invité à juger selon le bon sens populaire ( qui est pour lui l'instinct de la germanité qui se manifeste ) et selon la parole du Führer (qui a le mieux compris les lois de la nature et de l'histoire) et les principes du parti nazi (qui dépose la sagesse et la parole du Führer). Bon sens populaire, parole du führer et parti nazi deviennent les sources du droit. Les grands espaces Pour ce qui est de sa théorie du droit international, le concept fondamental utilisé par Carl Schmitt est celui de grand espace. Il utilise la même méthode que pour son droit du peuple : observer comment l'histoire a structuré la géographie, voir comment le monde s'est organisé depuis des siècles voir des millénaires et induire des règles de structuration des grands espaces. Et c'est précisément ce concept de grand espace qui causera sa perte dans le milieu national socialiste. En effet, Carl Schmitt n'arrive pas à franchir la dernière étape de la biologisation totale du droit, son grand espace n'est pas l'espace vital ou le biotope et il se retrouve dépassé sur sa droite par ceux ( y compris certains de ses élèves) qui font de la race l'ordre concret par excellence. Il y'a chez lui un obstacle épistémologique majeur qui l'empêche d'aller plus loin dans cette logique : c'est un penseur de l'Etat. Carl Schmitt est un passionné d'empire et un admirateur des structures politiques qui ont su unifier des espaces normativement, politiquement et militairement. Or, les nazis sont des anti-étatistes convaincus et veulent dépasser le cadre étatique ( puisque pour eux, l'Etat est en quelque sorte une abstraction crée par les juifs). En outre l'homme est profondément catholique quand le christianisme n'est, pour les nazis, qu'un avatar du judaïsme. En butant sur la biologie, Carl Schmitt se retrouve marginalisé et perd son influence. Cela va sans dire mais c'est peut être mieux en le disant que cet article ne constitue en aucun cas une apologie du nazisme, l'exposé de Johann Chapoutot a lieu dans un colloque organisé à l'occasion de l'anniversaire de la Charte 77, et qui s'est donné pour objectif de rappeler le rôle des intellectuels dans les sociétés tyranniques mais aussi des dangers de la pensée totalitaire dans les sociétés en crise ou encore en mutation. Malgré sa marginalisation, Carl Schmitt s'est clairement engagé dans l'appareil nazi en 1933. Que ce soit par opportunisme ou par conviction, il a accompagné le national-socialisme de l'éclosion à l'implosion. Cela ne doit pas empêcher de reconnaitre la puissance intellectuelle et la culture du juriste. Une fois purgée de ses obsessions racistes, on peut admettre que la pensée de Carl Schmitt se construit sur une critique du libéralisme qui trouve des échos à notre époque, non seulement parce qu'il y' a une certaine exaspération antilibérale, notamment liée au fait que le politique exprime son impuissance face à la mondialisation mais aussi parce que nombre de ses analyses se rapportent à une actualité brûlante, que ce soit sur le terrorisme, le droit de la guerre, l'Etat d'exception ou la répartition inégale de la puissance dans l'ordre international. Sources : Académie royale de Belgique Ekouter.net
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Carl-Schmitt-Chapoutot-2.jpg

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