Les dérives de l’Histoire, par Chris Hedges

Source : Truthdig, Chris Hedges,
Mr. Fish
Le travail des historiens, comme celui des journalistes, consiste à manipuler les faits. Certains utilisent les faits pour dire des vérités, même si elles sont désagréables. Mais beaucoup d’autres les omettent, les mettent en évidence et parfois les déforment de manière à entretenir les mythes nationaux et à étayer les récits dominants. L’échec de la plupart des historiens populaires et de la presse américaine à raconter des histoires d’oppression et de luttes contre l’oppression, en particulier par les femmes, les gens de couleur, la classe ouvrière et les pauvres, a contribué au triomphalisme et au chauvinisme écœurant qui empoisonnent notre société. L’historien James W. Loewen, dans son livre « Lies Across America : What Our Historic Markers and Monuments Get Wrong » [Mensonges en Amérique : en quoi nos marqueurs et monuments historiques sont erronés, NdT], qualifie les monuments qui célèbrent notre histoire hautement sélective et déformée de « paysage du déni ».
L’historien Carl Becker a écrit : « L’Histoire est ce que le présent choisit de se rappeler sur le passé ». Et en tant que nation fondée sur les piliers du génocide, de l’esclavage, du patriarcat, de la répression violente des mouvements populaires, des crimes barbares commis pour étendre l’empire et de l’exploitation capitaliste, nous choisissons de nous souvenir de très peu de choses. Comme James Baldwin ne s’est jamais lassé de le souligner, cette amnésie historique est très dangereuse. Elle nourrit notre aveuglement. Elle nous coupe de la reconnaissance de notre propension à la violence. Elle nous amène à projeter sur d’autres – presque toujours les personnes les plus vulnérables – le mal inconscient qui gît dans notre passé et dans nos cœurs. Elle fait taire les voix des opprimés, de ceux qui pourraient nous dire qui nous sommes et nous permettre par l’introspection et l’auto-critique de devenir un peuple meilleur. « L’Histoire ne se contente pas de renvoyer au passé… l’histoire est littéralement présente dans tout ce que nous faisons », écrit Baldwin.
Si nous comprenions notre passé réel, nous verrions comme absurdes les assertions de Donald Trump selon lesquelles l’enlèvement des statues confédérées est une attaque contre « notre histoire ». L’histoire de qui est-elle attaquée ? Et est-ce l’histoire qui est attaquée ou le mythe déguisé en histoire et perpétué par la suprématie blanche et le capitalisme ? Comme le souligne l’historien Eric Foner, « Les monuments publics sont construits par ceux qui ont suffisamment de pouvoir pour déterminer quelles parties de l’histoire méritent d’être commémorées et quelle vision de l’histoire doit être véhiculée. »Lire la suite

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