Voyage de Cyril Lignac en Israël : lettre ouverte de Rania Talala

Depuis quelques années, Israël tente de briser la pression croissante de l’opinion publique internationale contre sa politique colonialiste et racialiste, notamment à travers des initiatives culturelles organisées en partenariat avec des pouvoirs politiques occidentaux, partenariats qui ne reflètent pas les aspirations populaires occidentales ; vous avez peut-être en mémoire l’événement intitulé « Tel-Aviv-sur-Seine », qui s’est tenu à Paris à l’été 2015, co-organisé par la mairie de Tel-Aviv (capitale d’Israël) et l’équipe municipale d’Anne Hidalgo (avec le renfort de la LDJ pour assurer la « sécurité »…).
Nous relayons ici la lettre ouverte de Rania Talala, cheffe cuisinière franco-palestinienne et blogueuse, qui interpelle le chef cuisinier étoilé et présentateur télé Cyril Lignac, qui vient d’effectuer un voyage culinaire mais surtout médiatique en Israël. Elle y met les points sur les i, pour ne pas dire les pieds dans le plats… Voici quelques petits rappels historiques indispensables, qui ne manquent pas de piquants !
Raphaël Berland

Cher Cyril Lignac,
Je t’écris car depuis deux jours, on ne cesse de m’interpeller par rapport à la vidéo que tu as faite lors de ton voyage à Tel Aviv.
Je m’appelle Rania, française originaire de Palestine (de Jérusalem et de Jaffa) et je suis traiteur de cuisine palestinienne et créatrice du blog Les ptits plats palestiniens de Rania.
Tu ne me connais sûrement pas, sinon, tu aurais sûrement évité de parler de gastronomie israélienne dans cette fameuse vidéo.
Soit. J’apprécie ton travail et ton évolution depuis des années, de même que ceux qui m’ont signalé ta vidéo, c’est pour cela que, d’une part, je prends la peine de t’écrire, et que d’autre part, je vais prendre la peine de t’expliquer certaines choses notamment pourquoi tu as provoqué tant de déception.
Le pays que tu as décidé de visiter, cher Cyril, n’est pas n’importe quel pays.
Afin d’éviter de faire un long cours d’histoire et de géopolitique, je vais faire simple. Très simple.
Israël est un pays créé en 1948, au dépend d’un peuple qui était déjà sur cette terre, les Palestiniens et qui ont été pour une grande majorité chassés de leur terre.
Les Palestiniens se sont retrouvés, d’un coup, réfugiés dans les pays alentours ou dans des pays plus éloignés.
D’autres Palestiniens, sont restés malgré les spoliations de leurs terres, accrochés coûte que coûte à leurs oliviers millénaires, d’où coule la célèbre huile d’olive palestinienne.
Ceux là, se trouvent en Cisjordanie et à Gaza (entre autre, comme je te l’ai dit, je vais faire très bref).
Israël est un pays qui s’est créé sur la colonisation de terres qui ne lui appartenaient pas et qui continue à construire et à s’installer illégalement sur des terres qui ne lui appartiennent pas, tout en faisant fi du droit international et des résolutions de l’ONU.
Ces fameuses terres appartiennent à l’autre peuple qui habite là-bas, et ce, depuis toujours, c’est à dire avant même la création d’Israël : le peuple Palestinien.
Et c’est là que c’est embêtant cher Cyril.
Parce que lors de ton voyage, tu ne prends même pas la peine de rencontrer des palestiniens ni de découvrir leur cuisine, bref… tu les ignores.
Déjà, ça, c’est pas sympa.
Mais ce qui a offusqué les personnes qui m’ont interpellé, c’est ta description de la cuisine israélienne.
Oui, cette cuisine est emprunte de la cuisine du Maghreb et des pays « alentours » (donc de la Jordanie, de la Syrie, du Liban, qu’on appelle aussi le Levant ou le Mashrek).
Mais elle s’inspire SURTOUT, de la cuisine palestinienne, de la cuisine du peuple qu’elle a colonisé.
Et si seulement cela se limitait à de la simple inspiration…
Mais non cher Cyril, cela ne se limite pas à cela.
Ce que fait Israël avec la cuisine est dans la continuité du schéma du colonisateur qu’il est : après l’appropriation des terres palestiniennes, de la culture palestinienne, c’est l’appropriation de la cuisine palestinienne.
En clair : un processus d’invisibilisation et de négation de l’existence même du peuple Palestinien.
Le hommous que tu as goûté n’est pas israélien mais palestinien. Il en est de même de toutes les épices et de la majorité des mets que tu as pu goûter là-bas.
Mais tu n’as pu le remarquer, toi qui es resté là où on t’a invité et qui n’a même pas eu la curiosité de rendre visite aux superbes restaurants côté palestiniens de Jérusalem.
Ah oui ! Je précise que Jérusalem n’est pas une ville israélienne. Enfin pas complètement…
Donc, avec tout ça, je suis triste de t’annoncer que tu participes à la propagande israélienne qui consiste à normaliser le processus de colonisation en enjolivant la réalité et en niant la vérité historique, politique et culturelle.
Et ça, malgré toute l’admiration que j’ai pour ton travail, c’est pas rien.
Je reste à ta disposition si tu souhaites découvrir les joyaux de la cuisine palestinienne et aussi, te montrer comment utiliser la crème de sésame (qu’on appelle tahina et non pas thina. On t’a mal soufflé ).
Palestinement,
Rania
#LaResistanceDanslAssiette
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