Hiroshima et Nagasaki, une nécessité pour abréger la Seconde Guerre mondiale ? Une réponse d’Howard Zinn

Hiroshima après l’atomisation de 1945
Il y a 72 ans, respectivement le 6 et le 9 août 1945, des bombes atomisaient en quelques secondes les villes d’ Hiroshima et de Nagasaki au Japon. En mémoire de cette tragédie, nous republions ici l’article rédigé en 2015 par Baptiste Mannaia pour le Cercle des Volontaires :

Cela revient tel un poncif à chaque discussion sur l’usage de larme atomique sur les populations civiles japonaises les 6 et 9 août 1945 : ces bombes auraient permis de porter l’estocade au Japon, évitant ainsi un débarquement et une occupation de l’île qui auraient engendré bien plus de victimes que la force nucléaire. « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge, mais répété 10 000 fois il devient une vérité », prétendait Joseph Goebbels, ministre nazi de la propagande. On peut dès lors se demander si l’affirmation du bienfondé de la destruction de villes entières par l’armée américaine, qu’on nous enseigne dès l’école primaire et qu’on nous ressasse à l’envi dans la presse de grande diffusion, répond à cette logique de manipulation ou si au contraire elle résiste à l’analyse historique.
L’historien et politologue états-unien Howard Zinn (1922-2010) a travaillé sur ce dossier et nous livre des réponses dans son ouvrage Désobéissance civile et démocratie (texte anglais datant de 1986, dernière édition en français chez Agone, 2010). Engagé volontaire dans l’armée de l’air en tant que lieutenant bombardier pendant la Seconde Guerre mondiale, il finit par douter de la justesse de son action en raison de l’imprécision des frappes aériennes et de l’utilisation de napalm non justifiée sur des ennemis repliés (Royan, avril 1945). Son engagement militaire lui ouvrant les portes de l’université, il deviendra professeur d’histoire, de sciences sociales puis intégrera le département sciences politiques de l’université de Boston où il enseignera pendant 24 ans.

Les responsables politiques justifièrent l’usage de la bombe atomique contre des populations civiles en termes moraux. Henry Stimson, dont l’Interim Commitee avait pour mission de décider s’il fallait ou non utiliser la bombe atomique, déclara plus tard que cela fut fait dans l’objectif  « de remporter la guerre en limitant au maximum les pertes dans les rangs des soldats ». Cet arguments supposait que, sans l’usage des bombes atomiques, il aurait été nécessaire d’envahir la Japon, ce qui aurait coûté la vie à de nombreux soldats américains. Un raisonnement nationaliste, voire raciste, selon lequel sauver des vies américaines était bien plus important que de sauver des vies japonaises. Des chiffres extravagants commencèrent à circuler (le secrétaire d’État James Byrnes évoqua « un million de morts et de blessés » dans le cas d’une invasion) mais on ne tenta jamais d’estimer sérieusement les pertes américaines en comparaison des pertes japonaises, hommes, femmes, enfants et personnes âgées.
Nous savons aujourd’hui avec certitude qu’une invasion du Japon n’était pas nécessaire pour mettre fin à cette guerre. Le Japon était battu, en pleine détresse, prêt à se rendre. Le US Strategic Bombing Survey, qui interrogea 700 militaires et responsables politique japonais après la guerre, parvint à cette conclusion : « Se fondant sur une analyse détaillée des faits, étayée par les témoignages des responsables japonais survivants, la commission d’enquête est persuadée que, certainement avant le 31 décembre 1945 et, en toute probabilité, avant le 1er novembre de la même année, le Japon aurait capitulé même si la bombe atomique n’avait pas été larguée, même si la Russie n’était pas entrée en guerre et même si aucune invasion n’avait été planifiée ou envisagée. »
Après la guerre, l’universitaire américain Robert Butow consulta les archives du ministère des Affaires étrangères japonais, les dossiers du tribunal militaire international qui fut chargé de jugé les responsables japonais pour crimes de guerre et les rapports d’interrogatoires de l’armée américaine. Il interrogea également nombre de personnalités japonaises de premier plan et aboutit à cette conclusion : « Si les Alliés avaient donné au prince (Konoye, l’émissaire spécial à Moscou qui cherchait à obtenir l’intercession des russes afin de conclure la paix) une semaine supplémentaire pour obtenir l’accord de son gouvernement sur les propositions qui lui étaient faites, la guerre aurait pu s’achever vers la fin juillet ou au tout début du mois d’août sans qu’il eût été nécessaire d’avoir recours à la bombe atomique et sans que les Russes n’entrassent dans le conflit ».
Le 13 juillet 1945, trois jours avant le succès du premier essai atomique au Nouveau-Mexique, les États-Unis avaient intercepté un message codé adressé par Togo, le ministre des Affaires étrangères japonais, à Sato, son ambassadeur à Moscou, lui conseillant de demander aux Soviétiques d’intercéder en leur faveur et lui signifiant que le Japon était prêt à mettre fin à la guerre pour peu qu’on ne lui impose pas une reddition sans conditions. Le 2 août, le ministère des Affaires étrangères fit parvenir un autre message à l’ambassadeur japonnais à Moscou : « Il ne nous reste plus que quelques jours pour parvenir à un accord qui puisse mettre fin à la guerre. (…) Quant aux termes définitifs de l’accord, (…) notre intention est de faire de la déclaration de Postdam (qui appelait à une reddition sans conditions) la base de notre réflexion sur ce sujet. » Le professeur d’histoire Barton Bernstein, qui a étudié les documents officiels de très près sur ce sujet, écrivait que « ce message, comme les précédents, a probablement été intercepté et décodé par les renseignements américains. Mais cela n’a eu aucun effet sur la politique américaine. »
Dans son récit, aussi convaincant que détaillé, de la fabrication de la bombe, Richard Rhodes affirme que « les bombes furent larguées non parce que les Japonais refusaient de se rendre mais parce qu’ils refusaient une reddition sans condition ». L’unique condition des Japonais était qu’on acceptât de respecter le caractère sacré de la personne de l’empereur (…) et vers la fin, les États-Unis acceptèrent toutes les demandes japonaises concernant l’empereur.
Pour quelles raisons les Américains se montrèrent-ils si pressés de larguer cette bombe si l’argument concernant les vies humaines se révélait n’en être pas un et si les Japonais étaient prêts à se rendre même sans invasion américaine ? Après avoir étudié les archives des dirigeants américains les plus proches de Truman et les plus influents dans la décision finale, l’historien Gar Alperovitz conclut que les bombes atomiques avaient pour seul objectif d’impressionner l’Union soviétique en un acte initial destiné à imposer la domination américaine sur le monde de l’après-guerre. Il rappelle que l’Union soviétique avait promis de rentrer en guerre contre le Japon le 8 août. La bombe explosa le 6 août.
Le scientifique Leo Szilard, qui avait rencontré le principal conseiller politique de Truman en mai 1945, raconta plus tard que « Byrnes ne prétendait pas que l’usage de la bombe contre les villes japonaises (fût) absolument nécessaire pour gagner la guerre. (…) Byrnes pensait que le fait de posséder la bombe et d’en faire la démonstration rendrait la Russie plus souple ». Et le secrétaire à la Marine, James Forrestal, écrivit dans son journal : « Byrnes déclara qu’il était soucieux de voir cette affaire japonaise finir avant que les Russes ne s’en mêlent ».
L’emploi de la bombe atomique semble donc ne pas avoir eu pour fin de hâter la victoire, qui était déjà certaine, ni de sauver des vies, puisqu’il était fort probable qu’une invasion américaine du Japon ne serait pas nécessaire, mais bien d’affirmer la suprématie américaine en prévision de l’après-guerre. Pour y parvenir, on utilisa des moyens qui sont parmi les plus atroces que l’humanité ait jamais conçus : brûler vifs, mutiler affreusement et irradier des êtres humains, les condamnant à une lente agonie dans d’atroces souffrances.

Ce révisionnisme méthodique basé sur des sources sûres et recoupées ne laisse guère de place au doute et permet de battre en brèche un énième mensonge du roman national états-unien, devenu par extension roman du bloc occidental. Cet exemple nous montre à quel point nous devons nous ré-approprier notre Histoire si nous voulons comprendre notre présent, anticiper notre futur et pourquoi pas contribuer à faire échouer les politiques destructrices que nous impose une toute petite élite depuis bien trop longtemps.
Baptiste Mannaia
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