Avancée de Daesh aux Philippines, interview du président Rodrigo Duterte

Dans un silence une fois de plus quasi total des grands médias nationaux, concentrés sur le drame de Manchester, l’affaire Richard Ferrand et un étrange G7 à 9 (1), l’essor des mouvances terroristes islamistes aux Philippines est en train de pendre une tournure préoccupante.
Une situation extrême poussant les autorités des Philippines à déclarer la loi martiale sur l’île de Mindanao où se sont produits les faits.
Le président Philippin, Rodriguo Duterte, a accordé à cette occasion un entretien à Russia Today (RT) pour expliquer cette lourde décision et les raisons qui le poussent aujourd’hui à un changement d’alliance stratégique à l’échelle internationale.
Des propos qui font figure de véritable bombe.

Contexte et rappel des faits

Le sud des Philippines est en proie aux mouvances islamiques depuis la fin des années 60 avec la naissance en 1969 du Front Moro de Libération Nationale (FMLN) puis la création en 1978 du Front Moro Islamique de Libération (FMIL). Si le FMLN est surtout actif dans les provinces de Sulu, de Basilan et de Tawi-Tawi (voir la carte plus bas), le FMIL étend lui son influence sur l’île de Jolo et surtout, sur celle de Mindanao, la deuxième île du pays par sa superficie et sa population.
Émanant de ces deux entités, c’est le mouvement Abou Sayyaf (2), créé en 1991, qui est à l’origine de l’offensive de ces derniers jours sur la ville de Marawi. Cette offensive a été lancée en réaction à la tentative d’arrestation du chef de l’organisation, Isnilon Totoni Hapilon (3). L’objectif des autorités était de freiner le rapprochement que le leader d’Abou Sayyaf voulait faire avec l’État islamique auquel le groupe avait déjà prêté allégeance en août 2014 (4). Les craintes de Manille étaient qu’Isnilon Hapilon ne tente un rapprochement entre son organisation et le groupe terroriste Maute afin de se proclamer émir de l’État islamique aux Philippines.
La situation est donc particulièrement complexe dans cette région du monde où des terroristes de l’État islamique viennent prêter main-forte à des mouvances combattant sur place depuis des décennies, le tout sur fond de trafic de drogue. C’est dans ce contexte que le président Rodriguo Duterte a déclaré la loi martiale sur toute l’île de Mindanao, le 23 mai dernier.

L’interview de Rodriguo Duterte

La veille de la déclaration de la loi martiale, le président Rodriguo Duterte accordait un entretien à Russia Today (RT). Nous vous le proposons ici. Il est malheureusement uniquement sous-titré en anglais mais vaut malgré tout la peine d’être écouté attentivement et dans son intégralité. Nous en avons toutefois retranscrit et traduit les passages les plus importants ci-dessous.

Interview vidéo accordé par Rodriguo Duterte à RT (Russia Today) :
Transcription et traduction :

2 min 30 : Les ordres étaient très clairs, allez chasser les barons de la drogue. Arrêtez-les si possible, mais s’ils se comportent violemment ou mettent en danger la vie des policiers ou des forces de sécurité, tuez-les. Parce que par le passé, c’est ça qui a vraiment empêché la police et l’armée de lutter contre les trafiquants de drogue. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient effrayés par les « droits de l’homme », qui sont un phénomène nouveau. Actuellement, en jouant sur les « droits de l’homme » des pays comme ceux de l’UE ou les États-Unis interfèrent dans les affaires des autres nations.
4 min 30 : Ils [les États-Unis] seraient exemptés parce qu’ils sont américains ? […] Quand ils lâchent leurs bombes et détruisent tant de villages et qu’il n’y a pas un mot [de la communauté internationale]. Les États-Unis ont envahi l’Irak, quelle était leur excuse ? Parce qu’il y avait des armes de destruction massive ? […] Tant de gens sont morts quand ils ont envahi l’Irak. Où est la justice ? La justice doit être égale, il ne peut pas y avoir une justice pour les uns et une justice pour les autres avec un double standard.
6 min : Je suis juste en train de combattre les criminels dans mon pays. Je n’ai jamais envahi un autre pays. […] La façon dont fonctionnent les nations [les Nations Unies] est parfaitement incongrue. Les nations les plus puissantes peuvent inventer des armes de destruction ou ils peuvent envahir votre pays. Et moi je n’ai jamais touché personne, je ne vais même pas aux Nations Unies, et après ils me critiquent pour avoir tué des criminels ?
9 min 10 : Ma politique étrangère a basculé d’une position « pro-occidentale » vers une alliance avec la Chine. Et j’espère démarrer de bonnes relations avec la Russie. Et vous savez pourquoi ? A cause du double discours du monde occidental, UE et autre.
11 min :
Rodriguo Duterte : Si je survis à la CIA, et il me reste 5 ans à faire.
Journaliste : Vous craignez un assassinat de la CIA ?
–  Ils font cela non ? Vous semblez surprise.
11 min 45 : Dans mes discussions préliminaires avec le président Poutine, j’ai reçu une réponse favorable, j’espère que cela va rapidement devenir concret. Parce qu’on ne peut faire confiance qu’à la parole de la Russie et de la Chine. Les États-Unis ont un double discours. […] Mon pays doit combattre le terrorisme, combien de temps vais-je devoir attendre ? Jusqu’à ce que nous soyons à genoux ? Il sera trop tard […] Si mon pays s’effondre, qui viendra le relever ? Les États-Unis ?
18 min : L’État islamique a établi une base dans mon pays, tout au sud. Et nous sommes juste en train de combattre le terrorisme, comme n’importe quel pays, et nous avons besoin d’armes. Et tout d’un coup deux sénateurs américains du Congrès disent qu’ils ne vont pas pouvoir y répondre. Alors j’ai dit pas de problème. Je vais plaider ma cause auprès de la Russie et de la Chine, eux vont la comprendre car ils souffrent aussi du terrorisme.
19 min 30 : Nous avons capturé ou tué six terroristes pour l’instant et ils étaient typés caucasiens ou moyen-orientaux [NDRL comprendre en sous-entendu qu’il s’agirait d’un terrorisme en partie importé].
20 min 45 : J’ai 72 ans. En tant que président je dois préserver et défendre la nation philippine. Et c’est exactement ce que je vais faire, quelqu’en soit le prix, quelqu’en soit le coût. C’est mon devoir solennel de faire que mon pays soit ce qu’il doit être : un pays en paix et un lieu où il fait bon vivre.

Rodriguo Duterte

Après avoir été nommé vice-maire de Davao en 1986 à la fin de la dictature de Ferdinand Marcos, Rodriguo Duterte est officiellement élu maire en 1988. Il occupera ce poste quasi sans discontinuité jusqu’à son élection à la présidence de la république des philippines en 2016. Élu le 9 mai, il entre en fonction deux mois plus tard. En quelques mois, sa popularité s’envole à plus de 75 % d’opinion favorable, aux antipodes de ce que l’on observe en général dans le monde occidental. L’homme bénéficie aujourd’hui d’un fort soutien populaire pour mener le combat qui l’oppose aux mouvances islamistes.

Les Philippines

Les Philippines sont constituées d’un immense archipel de plus de 7000 îles étendues sur plus de 2000 km du nord au sud et plus de 1000 km d’est en ouest. Peuplé de plus de 100 millions d’habitants, le pays se classe à la 12ème position mondiale par sa population.
Sa capitale, Manille, compte 1,6 millions d’habitants et se situe sur l’île de Luçon, l’île la plus septentrionale de l’archipel. Presque aussi peuplée, avec 1,5 millions d’habitants, Davao, la ville dont Rodriguo Duterte fut maire, est elle située sur l’île de Mindanao, où s’applique depuis mardi la loi martiale. Marawi, où a eu lieu l’avancée d’Abou Sayyaf, est la capitale de la région du Lanao du Sud, au nord de l’île de Mindanao.
Elu de la capitale de l’île pendant près de 30 ans, le nouveau président connaît donc très bien la région aujourd’hui soumise à la loi martiale et la situation politique de guérilla qu’elle subit depuis des décennies. Ce sera probablement un atout majeur dans la résolution de cette crise.
Nico Las (TDH)

(1) : Il est cocasse de constater que le G7 s’est en fait déroulé à 9, avec la présence des Donald Tusk (Président du Conseil européen) et de Jean-Claude Juncker (Président de la Commission européenne), mais bien sûr toujours en l’absence de Vladimir Poutine et de la Russie, exclus depuis l’arrêt des G8.
(2) : Qui signifie « Mouvement islamique ».
(3) : L’homme est officiellement recherché par la CIA (voir sa fiche ici).
(4) : Voir les photos de l’EI sur le compte twitter de Wassim Nasr, de France 24.
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