Hiroshima, Nagasaki : aucune excuse d’Obama pour le génocide nucléaire

Jeune fille posant une lanterne sur le fleuve Ōta pour les âmes des victimes du bombardement d’Hiroshima. A l’arrière-plan, le dôme de Genbaku, mémorial de la paix d’Hiroshima (K. Mayama/EPA)
Ce vendredi 27 mai, Barack Obama se rend à Hiroshima au Japon, ville ayant subi la première déflagration nucléaire à visée meurtrière de l’histoire de l’humanité, le 6 août 1945. La déflagration tua plus de 140 000 personnes. Des dizaines de milliers d’irradiés agonisèrent durant des décennies. Toutefois, M. Obama a déclaré qu’il ne fournirait aucune excuse au nom des États-Unis pour ce crime de guerre. Il a déclaré le 23 mai dernier à la chaîne de télévision publique japonaise NHK :

Je pense qu’il est important de reconnaître qu’en pleine guerre, les dirigeants doivent prendre toutes sortes de décisions (…) C’est le rôle des historiens de poser des questions et de les examiner.

Paradoxalement, la direction de la communication de la Maison Blanche a déclaré que par cette visite, Obama avait pour visée de « réaffirmer son attachement à l’objectif d’un monde sans armes nucléaires ». On est en droit de s’interroger sur la réalité de cet objectif, lorsque le dirigeant de la première puissance nucléaire mondiale déclare à propos d’un bombardement nucléaire ayant fait plus de 140000 morts : « il est important de reconnaître qu’en pleine guerre, les dirigeants doivent prendre toutes sortes de décisions ».
Notons que les premiers que la présentation de telles excuses dérangeraient seraient les actuels dirigeants du Japon qui, malgré la catastrophe de Fukushima, continuent de miser largement sur l’énergie nucléaire. Des excuses états-uniennes donneraient un argument de poids aux voix de plus en plus nombreuses s’élevant dans l’archipel contre cette politique nucléaire suicidaire.
En l’occurrence, par sa petite phrase qui se veut remplie d’une sagesse stoïcienne, laissant aux historiens la responsabilité de juger, non seulement Barack Obama justifie un crime de guerre ayant visé délibérément des centaines de milliers de civils, mais il donne aux dirigeants du monde entier, y compris aux présidents des États-Unis à venir, la caution nécessaire pour en commettre de semblables, parce qu’ en pleine guerre, voyez-vous, « les dirigeants doivent prendre toutes sortes de décisions »…

Un massacre de civils injustifiable d’un point de vue éthique et juridique

Le Père John A. Siemes, professeur de philosophie contemporaine à l’Université Catholique de Tokyo et témoin oculaire du bombardement atomique d’Hiroshima écrira a posteriori :

Nous avons débattu entre nous de la question de l’éthique dans l’utilisation de la bombe… Il me semble logique qu’un partisan du principe de la guerre totale ne peut récriminer contre la guerre menée contre les civils.

C’est cette position « éthique » qui est défendue par Barack Obama. Le meurtre de centaines de milliers de civils est associé à une décision militaire, dans un contexte de guerre. Or, malgré la soumission politique du Japon aux États-Unis prévalant encore de nos jours, le tribunal d’instance de Tokyo, à la suite d’un arrêt concernant l’affaire Shimoda contestera en 1963 la pertinence d’une telle argumentation :

En conséquence, il est erroné de conclure à la disparition de toute distinction entre objectifs militaires et non-militaires en raison d’une guerre totale.

Dès 1946, le Conseil Fédéral des Églises condamnera ce meurtre de masse de l’intérieur des États-Unis, dans un rapport intitulé La guerre atomique et la foi chrétienne :

En tant que chrétiens américains, nous sommes profondément contrits par l’utilisation irresponsable d’ores et déjà faite de la bombe atomique. Nous sommes convenus que quel que soit le jugement que l’on porte sur le principe de la guerre, les bombardements sans sommation d’Hiroshima et Nagasaki sont moralement indéfendables.

En 1990, l’historien États-unien Gabriel Kolko remettra ce crime de guerre dans son contexte, en rappelant qu’il n’était pas isolé. Des raids aériens lancés sur Tokyo, mais auparavant sur Dresde et Hamburg en Allemagne, avaient délibérément visé des centaines de milliers de civils à coup de bombes incendiaires, sans aucun objectif militaire, et sans que cela n’inquiète en rien la « communauté internationale » :

En novembre 1944, les B-29 américains commencèrent leurs raids incendiaires sur Tokyo et le 9 mars 1945 larguèrent par vagues successives d’énormes quantités de petites bombes incendiaires contenant une version béta de ce qui deviendra le napalm sur la population de la ville, l’objectif de l’attaque étant les civils. Ces mini-incendies étaient si nombreux qu’en se rejoignant ils se transformaient rapidement en un gigantesque feu qui aspirait l’oxygène des basses couches de l’atmosphère. Pour les Américains ce bombardement fut un « succès » ; en une seule attaque ils avaient tué quelque 125 000 Japonais. À Dresde ou à Hambourg, les Alliés utilisèrent cette même tactique reprise à Nagoya, Osaka, Kobe puis Tokyo encore le 24 mai. La décision morale fondamentale à évaluer pour les Américains pendant la guerre fut de savoir s’ils violaient les conventions internationales de la guerre en attaquant des cibles civiles. Ce dilemme fut résolu en restant dans les limites de l’utilisation des armes conventionnelles. Ni fanfare ni hésitation n’accompagnèrent leur choix, et de fait la bombe atomique contre Hiroshima fut moins meurtrière que les massifs raids incendiaires. La guerre avait tellement traumatisé les gouvernants américains que de brûler d’immenses masses de civils ne leur causait plus aucun embarras au printemps 45. Vu la capacité prévisible de la bombe atomique, jusqu’alors bien moins dévastatrice que celle des raids incendiaires, personne ne s’attendait à ce qu’ils n’en fassent qu’un usage modéré pour mettre fin à la guerre. Seule sa technique était nouvelle. Rien d’autre.
Gabriel Kolko, The politics of war. The world and United States foreign policy. 1943-1945 [Les politiques de la guerre, le monde et la politique étrangère des États-Unis, 1943-1945], New-York, Randhom House, 1990, pp. 539, 540

Les crimes de guerre de l’Allemagne et des États-Unis devant l’histoire : quelle différence ?

Dans sa déclaration à la chaîne de télévision publique japonaise NHK, Obama se lave les mains en affirmant que « c’est le rôle des historiens de poser des questions et de les examiner ». Et bien les historiens posent des questions et établissent des jugements. Mais ils s’avèrent fort inutiles si les hommes politiques à la tête des gouvernements, notamment quand ils ont le pouvoir d’appuyer sur le bouton rouge et de déclencher à tout moment la guerre nucléaire, n’en tirent aucune conclusion et usent du « rôle » des historiens pour se défausser de leurs propres responsabilités. A cet égard, Gabriel Kolko souligne le cynisme des autorités politiques états-uniennes concernant l’usage de la bombe et le meurtre de masse de centaines de milliers de civils qu’il allait engendrer. La seule chose les inquiétant fut que l’on puisse comparer leurs crimes de guerre à ceux commis par l’Allemagne nazie, et par là même les juger selon les mêmes critères du point de vue du droit et de l’Histoire. Une autre de leurs « inquiétudes » était de trouver des villes qui n’aient été déjà ravagées par les bombes incendiaires, afin de pouvoir évaluer au mieux les effets des bombes atomiques :

En juin 1945 la destruction massive de civils par bombardements stratégiques interpella Stimson en tant qu’enjeu moral, mais sitôt pensée sitôt oubliée, et c’est sans autre forme de procès que se détermina l’utilisation américaine des bombes conventionnelles ou atomiques. « Je ne veux pas que les États-Unis acquièrent la réputation de commettre des atrocités pires que celles d’Hitler », fit-il remarquer au président le 6 juin. L’autre difficulté des bombardements conventionnels est leur franc « succès », avec leur efficacité qualitativement équivalente aux bombardements atomiques. Et ce surtout dans l’esprit des militaires. « J’avais un peu peur qu’avant que nous ne soyons prêts l’US Air Force n’ait déjà bombardé si intensément le Japon que la nouvelle arme ne dispose plus d’un environnement assez favorable pour tester sa force », déclara Stimson au président qui en « rit tout en lui assurant qu’il comprenait. »
Gabriel Kolko, The politics of war. The world and United States foreign policy. 1943-1945, 1990 [1963], pp. 539, 540

Le secrétaire à la guerre du président Truman, Henry Lewis Stimson (1867-1950), s’inquiétait donc que les États-Unis « acquièrent la réputation de commettre des atrocités pires que celles d’Hitler ». Il n’avait pas tort de s’en inquiéter, puisque Leo Szilard (1898-1964), ami d’Einstein, instigateur du projet Manhattan ayant lui-même incité Franklin Roosevelt à initier des recherches poussées sur la bombe, déclarera à propos des décisions de Truman concernant Hiroshima et Nagasaki :

Je ne dirais qu’une chose essentiellement sur l’enjeu moral que cela implique : imaginons que l’Allemagne ait fabriqué deux bombes avant que nous en ayons une. Et imaginons que l’Allemagne ait largué une bombe, disons, sur Rochester et l’autre sur Buffalo. Mais que, ne disposant plus de bombe, l’Allemagne ait perdu la guerre. Il y aurait-il eu quelqu’un pour douter que nous aurions alors défini ce bombardement de crime de guerre et que nous aurions aussi condamné à mort les Allemands responsables de ce crime à Nuremberg pour les pendre ensuite ?
Entretien du 15 Août 1960, US News and World Report

L’historien États-unien Mark Selden, spécialiste de l’histoire américaine et de l’Asie, rappelle quant à lui une comparaison avec la responsabilité octroyée par les Alliés à l’Empereur allemand Wilhelm (ou Guillaume) II dans le déclenchement de la suite d’atrocités de la première guerre mondiale, effectuée par le juriste indien Radhabinod Pal au Tribunal des crimes de guerre de Tokyo :

La critique la plus acerbe et la plus perspicace de l’attitude morale américaine à propos de la bombe et de la justice pendant la guerre fut exprimée par la voix dissidente du Radhabinod Pal juriste indien au Tribunal des crimes de guerre de Tokyo. Il refusa d’admettre le caractère unique des crimes de guerre japonais. Rappelant les propos du Kaiser Wilhelm II qui évoquait son devoir à conclure rapidement la première guerre mondiale : « Tout doit être soumis au feu et au sabre, hommes, femmes et enfants doivent être exterminés, pas un arbre ni une maison ne doivent rester debout. »

Selden se réfère à la remarque suivante de Radhabinod Pal :

Cette tactique recommandée pour abréger la durée de la guerre a été considérée comme crime de guerre. Dans le cas de la guerre du Pacifique, si un évènement répond au mieux à ce que préconisait le Kaiser ci-dessus, c’est bien l’utilisation de la bombe atomique décidée par les Alliés. Les générations futures jugeront cette terrible décision… Si détruire sans distinction la vie des civils et leur biens reste illégal en temps de guerre, alors pendant la guerre du Pacifique la décision de lancer la bombe atomique revient exactement à ce que cet empereur allemand a commis puis à ce que firent les nazis lors de la seconde guerre mondiale.

Dans le documentaire The Fog of War (Erol Morris, 2003), l’ancien secrétaire d’état à la défense Robert Mc Namara évoque quant à lui une conversation avec le général Curtis Le May, à qui incomba la transmission de l’ordre présidentiel de larguer la bombe :

« Si nous avions perdu la guerre, nous aurions été poursuivis pour crimes de guerre. » Je pense qu’il avait raison. Il, ou plutôt nous, avions agi comme des criminels de guerre. LeMay reconnaissait que ce qu’il avait fait pouvait être jugé comme immoral en cas de défaite. Mais qu’est-ce qui fait que c’est immoral quand vous perdez et moral quand vous gagnez ?

Pour le juriste allemand Carl Schmitt, les opérations de police globalisées ont liquidé le droit de la guerre
Pour trouver une réponse à sa question, Robert Mc Namara aurait pu s’intéresser à la pensée des « vaincus », et notamment à celle du juriste allemand Carl Schmitt. Interné dans différents camps par les soviétiques puis par les G.I.’s avant d’être emprisonné sept semaines à Nuremberg après la défaite allemande, en raison de sa collaboration étroite avec le régime nazi, Schmitt connut dans les années 2000 une gloire posthume chez les néoconservateurs des deux cotés de l’Atlantique, en raison de sa définition théologico-politique de l’ennemi, de la guerre juste et de sa justification de l’état d’exception. Dans Le Nomos de la Terre, Schmitt explique comment le belligérant perçu comme un agresseur est délégitimé de tout recours aux fondements les plus rudimentaires du droit international pour se défendre de ses accusateurs. Il devient un monstre, un parasite qui menace l’humanité et qu’il est par conséquent nécessaire de pulvériser. Il n’est plus un égal. Il s’exclut par son geste d’agression (ou interprété à dessein comme tel…) de la communauté morale de l’humanité et il en va de la dignité de la « communauté internationale » de s’en débarrasser, non plus en tant qu’adversaire légitime, mais en tant qu’ennemi de l’humanité, il « ne mériterait pas d’être sur terre » :

L’action menée contre lui n’est donc pas davantage une guerre que ne l’est l’action de la police étatique contre un gangster : c’est une simple exécution et, en fin de compte, du fait de la transformation moderne du droit pénal en lutte contre les nuisances sociales, ce n’est qu’une mesure contre un agent qui nuit ou qui dérange, contre un perturbateur qui est mis hors d’état de nuire avec tous les moyens de la technique moderne – par exemple une police bombing. La guerre est abolie, mais seulement parce que les ennemis ne se reconnaissent plus mutuellement comme égaux sur le plan moral et juridique.
Carl Schmitt, Le nomos de la terre, Traduction Lilyane Deroche-Gurcel, revue par Peter Haggenmacher, PUF, coll. Quadrige, 2008, p.125

Selon Schmitt, cette entreprise de déligitimation est aux fondements du droit international du XX° siècle. Comme il l’écrit, les opérations punitives que se permettent certains acteurs de la politique internationale (en général certains états contre d’autres états) outrepasse de très loin le droit de la guerre. Elle s’inscrit dans un ordre quasi théologique s’arrogeant le droit de vie ou de mort sur des millions d’êtres humains.

Déportations, mutilations, atomisation : un « démocide » intrinsèquement raciste

Le caractère raciste de ce crime est rarement évoqué dans les articles concernant Hiroshima, Nagasaki, ou le bombes incendiaires ayant frappé d’autres villes du Japon à la fin de la seconde guerre mondiale. Pourtant, le deuxième jour suivant la destruction de Nagasaki, le président Truman aurait déclaré :

Le seul langage qu’ils semblent comprendre, c’est celui que nous avons utilisé pour les bombarder. Quand on a affaire à un animal, il faut le traiter comme un animal. C’est tout à fait regrettable, mais cela n’en reste pas moins la vérité.

Cité par l’historien James Weingartner,  « Trophies of War: U.S. Troops and the Mutilation of Japanese War Dead, 1941–1945 ». Pacific Historical Review 61 (1), p. 54, 1992

James Weingartner met en lien ces propos avec la pratique de la mutilation des cadavres de Japonais par les troupes états-uniennes, récupérant les organes comme trophées de guerre. Il déclare dans le même article à ce propos :

L’image répandue des Japonais comme sous-humains a constitué un contexte émotionnel qui a fourni une justification supplémentaire à des décisions qui ont conduit à la mort de centaines de milliers de personnes (p. 67).

Carte des camps de concentration destinés aux Japonais résidant aux États-Unis durant la seconde guerre mondiale
A ce titre, il convient de rappeler que sur le territoire des États-Unis et du Canada, dès 1942, suite à l’attaque de Pearl Harbor, des centaines de milliers de citoyens américano-japonais ont été raflés, déportés et internés de force, femmes et enfants compris, dans des camps de concentration pudiquement nommés « camps de relocation ». Le 19 février 1942, le président Roosevelt signe le décret présidentiel 9066, ordonnant l’internement à titre préventif de groupes ethniques classés comme « descendants d’ennemis étrangers », à savoir des États-uniens d’origine allemande, japonaise, ou italienne.
Des lois discriminant ouvertement les Japonais, Chinois, Coréens, Philippins, furent promulguées aux États-Unis dès 1882 (loi d’exclusion des Chinois). Les mythe du péril jaune et de la cinquième colonne asiatique nourrissaient cette discrimination. La loi Geary de 1892 et d’autres élaborées sur le même modèle interdisaient à certains asiatiques l’accès à la citoyenneté états-unienne, ou dans une certaine mesure, l’accès à la propriété.  La Ligue pour l’exclusion des asiatiques fut fondée sous le premier nom de ligue pour l’exclusion des japonais et des coréens le 14 mai 1905 à San Francisco en Californie par 67 syndicats. Toutes les personnes d’ascendance japonaise résidant sur l’ensemble de la côte Ouest des États-Unis ont été systématiquement raflées et déportés à partir de 1942, avec le soutien du FBI.
Enfin, en parallèle aux bombardements intensifs du territoire japonais par l’armée des États-Unis, Staline ordonna l’incarcération de plus de 600 000 Japonais, et le massacre de milliers d’entre eux en Mandchourie.
Banderole installée sur sa boutique par un citoyen états-unien d’origine japonaise après les attaques de Pearl Harbor. Photo prise par Dorothea Lange juste avant l’internement de cet homme en 1942
Ces quelques indications orienteront peut-être le lecteur de ces lignes vers une nouvelle interprétation de l’histoire. Loin de constituer un acte de raison pure motivé par le seul désir d’abréger la guerre et d’épargner des vies, la décision du largage des deux bombes atomiques, à quelques jours d’intervalle, ne peuvent signifier que la volonté de destruction programmée d’un peuple entier, motivée au mieux par de l’indifférence, au pire, par la considération selon laquelle les asiatiques en général et les Japonais en particulier (bientôt suivis par les Coréens, les Vietnamiens et les Cambodgiens) seraient des sous-hommes bons à être réduits en cendres en quelques secondes sous un tapis de bombes. Cette détermination dans la destruction totale (donc bien loin des cadres juridiques du droit de la guerre) est inscrite noire sur blanc dans la déclaration adressée au gouvernement japonais suivant la conférence de Postdam du 25 juillet 1945. Truman, Churchill et Tchang Kaï-Tchek, président du gouvernement nationaliste chinois, y menacent explicitement les Japonais d’une « rapide et complète destruction« .
Jugeant les critères « scientifiques » de la définition du génocide trop restrictifs, le professeur de sciences politiques États-unien Rudolph Joseph Rummel a élaboré le concept de démocide pour définir les crimes de masse tels que ceux perpétrés à Hiroshima, à Nagasaki, ou par l’usage systématique de bombes incendiaires.

La fin des mythes de la « bonne guerre » et de la « résolution du conflit » par la bombe

Un mythe tenace perdure à propos du « bien fondé » de l’usage des deux bombes atomiques. Le peuple Japonais était tellement fanatisé qu’au prix même de son extinction progressive par des bombes incendiaires, accompagnée d’une invasion terrestre par des forces alliées dix fois plus nombreuses,  jamais il n’aurait rendu les armes. Cet argument a même été intériorisé par certains Japonais. Ainsi, le 30 juin 2007, le ministre de la défense Fumio Kyuma, lui-même originaire de Nagasaki, a déclaré :

J’ai fini par me résoudre à admettre que pour mettre un terme à la guerre, le fait qu’une bombe atomique fut larguée sur Nagasaki et que d’innombrables personnes aient subi une telle tragédie ne pouvait être évité.

L’empereur Hirohito lui-même, lors de sa toute première conférence de presse en 1975 à Tokyo, déclara à ce propos :

Il est éminemment regrettable que des bombes nucléaires aient été lancées, et je le regrette pour les citoyens d’Hiroshima, mais nous n’y pouvions rien, car cela se produisait en temps de guerre.

Mais ce que les Japonais toléraient de leur empereur en 1975, ils ne le toléraient plus d’un ministre en 2007. Ainsi, devant le tollé suscité par ses déclarations, Kyuma fut contraint à la démission le 3 juillet 2007. Si les bombes atomiques sont souvent présentées comme un enjeu majeur, la  menace d’une guerre frontale avec l’Union Soviétique semble avoir été bien plus décisive dans la reddition du Japon. C’est l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon le 8 Août, qui aurait décidé de la reddition, et non les bombes. Tel est du moins l’avis de l’historien japonais Tsuyoushi Hasegawa :

En nous appuyant sur les éléments disponibles, toutefois, il est clair que les deux bombes atomiques en elles-mêmes ne furent pas déterminantes pour inciter le Japon à la reddition. En dépit de leur pouvoir de destruction, les bombes atomiques ne constituaient pas un élément décisif pour modifier la diplomatie japonaise. L’élément décisif fut l’invasion soviétique. Sans l’entrée en guerre des Soviétiques, les Japonais auraient continué à se battre, jusqu’à ce que de nombreuses bombes atomiques, le succès d’une invasion de l’archipel, ou des bombardements aériens répétés, combinés à un blocus naval, les en rendent incapables.
Tsuyoushi Hasegawa, Racing the Enemy: Stalin, Truman, and the Surrender of Japan. The Belnap Press of Harvard University Press, 2006, p. 298

En tout état de cause, la perspective soviétique avait déjà mené l’empereur à l’initiative d’une reddition. Mais en 1945, Hirohito ne pouvait tolérer l’humiliation d’une reddition sans condition telle que l’exigeaient la Grande-Bretagne et les États-Unis. C’est ce que révèle une lettre de l’empereur qu’une mission diplomatique conduite par le prince Fumiramo Konoe, conseiller et ancien premier ministre, était chargée d’apporter à Moscou afin de négocier la paix dans le Pacifique, à la veille de la déclaration de Postdam, le 25 juillet 1945 :

Sa Majesté l’Empereur, conscient du fait que la guerre actuelle apporte chaque jour un plus grand mal et sacrifice aux peuples de toutes les puissances belligérantes, aspire en son cœur à ce qu’elle soit rapidement terminée. Mais tant que l’Angleterre et les États-Unis insistent sur une reddition sans condition, l’Empire Japonais n’a d’autre alternative que de combattre de toutes ses forces pour l’honneur et l’existence de la Mère Patrie… Il est dans l’intention personnelle de l’Empereur d’envoyer le Prince Konoe à Moscou comme envoyé spécial…
Tsuyoushi Hasegawa, Racing the Enemy: Stalin, Truman, and the Surrender of Japan, p.124

Dans Désobéissance civile et démocratie (Agone, 2010), l’historien états-unien Howard Zinn rejoint en de nombreux points l’analyse d’Hasegawa. Il y rapporte lui aussi l’importance de l’initiative diplomatique de Konoe et développe des éléments similaires affirmant la volonté de reddition du Japon, mais le refus de l’humiliation d’une reddition sans condition.  Beaucoup parmi les plus haut gradés de l’armée des États-Unis, apporteront leur témoignage quant à la volonté de reddition du Japon avant les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki.  Dwight D. Eisenhower, général des armées au moment des faits, devenu président des États-Unis de 1953 à 1961, écrira à ce propos dans ses mémoires :

En 1945, le secrétaire d’état à la guerre Stimson, en visite à mon quartier général en Allemagne, m’a informé que notre gouvernement s’apprêtait à larguer une bombe atomique sur le Japon. J’étais l’un de ceux qui ressentaient qu’il y avait un certain nombre de raisons convaincantes de mettre en doute la sagesse d’un tel acte. Durant son exposé des faits significatifs, j’ai ressenti une sensation de dépression, et je lui ai fait part de mes graves appréhensions, d’abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà vaincu et que ce bombardement n’était pas nécessaire, et ensuite parce que je croyais que notre pays devait éviter de choquer l’opinion mondiale par l’usage d’une arme dont l’emploi n’était plus, pensais-je, une mesure obligatoire pour sauver des vies américaines.
Dwight D. Eisenhower, The White House Years: Waging Peace 1956-1961, Doubleday and Co., 1963, pp. 312, 313

L’amiral Chester W. Nimitz, commandant en chef de la flotte du Pacifique, aurait déclaré pour sa part :

En fait, les Japonais avaient déjà cherché à engager des pourparlers de paix. La bombe atomique n’a joué aucun rôle décisif, d’un point de vue purement militaire, dans la défaite du Japon.

Enfin, l’amiral de la Flotte William D. Leahy, chef du cabinet du Président Truman, s’est exprimé sur la question dans son autobiographie :

L’utilisation des [bombes atomiques] à Hiroshima et Nagasaki n’a fourni aucune assistance matérielle dans notre guerre contre le Japon. Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre, du fait du blocus maritime efficace et des bombardements réussis avec des armes conventionnelles… Les possibilités létales de l’armement atomique dans l’avenir sont terrifiantes. Mon sentiment personnel est que, en étant les premiers à l’utiliser, nous avons adopté des normes éthiques communes aux barbares des Âges des Ténèbres. On ne m’a pas enseigné à faire la guerre de cette façon, et les guerres ne peuvent être gagnées en détruisant des femmes et des enfants.
William D. Leahy, I was there [J’y étais],  New York,  McGraw Hill Book Company, 1950, p. 441

Les excuses de l’empereur Akihito aux pays ayant subi les exactions des soldats japonais

L’horreur du génocide nucléaire états-unien n’excuse en rien les atrocités commises par le Japon durant la seconde guerre mondiale, cela va sans dire. Notons à cet égard qu’en contraste avec l’attitude d’Obama, l’empereur actuel du Japon Akihito, fils d’Hirohito auquel il a succédé en 1989, a pris l’initiative de présenter ses excuses à tous les pays ayant subi l’occupation japonaise.
Le 27 octobre 1992, lorsque pour la première fois dans l’Histoire, un empereur japonais visita la Chine, il déclara :

Dans la longue histoire des relations entre nos deux pays, il y eut une période tragique pendant laquelle mon pays causa de grandes souffrances au peuple de Chine. Nous avons reconstruit notre patrie et sommes fortement résolus à poursuivre notre chemin de pays pacifique sur la base de notre profond regret et de notre désir qu’une telle guerre ne se reproduise plus jamais.

Le 24 mai 1990, lors d’une entrevue avec le président sud-coréen Roh Tae-Woo, il affirma :

En songeant à la souffrance que votre peuple a enduré pendant cette malheureuse période, par la faute de notre nation, je ne peux ressentir que le plus profond remords.

Devant le successeur de ce dernier, Kim Dae-jung, il s’exprima ainsi le 8 octobre 1996 :

Il y eut une période pendant laquelle notre nation a apporté de grandes souffrances aux peuples de la péninsule coréenne […] Le profond chagrin que je ressens à ce sujet ne sera jamais oublié.

Obama en compagnie du premier ministre actuel Shinzō Abe, soutien actif des États-Unis dans la région, acteur de la remilitarisation du Japon, vivement critiqué pour ses provocations récurrentes vis-à-vis de la Chine et de la Corée.
Malgré ses efforts, lors de sa visite en Grande-Bretagne en 1998, d’ anciens prisonniers de guerre Britanniques rescapés des camps japonais tournèrent le dos au passage de son cortège, tandis que d’autres brûlèrent le drapeau du Japon.
Pour sa part, le premier ministre Shinzō Abe, véritable chef de l’exécutif japonais, n’a jamais suivi cette ligne. Le 27 décembre 2013, il a effectué une visite officielle au sanctuaire de Yasukuni dédié aux âmes des soldats morts pour l’empereur, dont plusieurs généraux condamnés pour crimes de guerre. Une visite perçue comme une provocation volontaire par les gouvernements de Chine et de Corée. En 2004, il fut le premier chef de gouvernement depuis 50 ans à déployer des forces japonaises dans un conflit militaire, pour appuyer les États-Unis en Irak. En 2013, il a annoncé la création d’une force militaire pour intervenir en cas de conflit armé sur les îles disputées de l’archipel de Senkaku.
Le 15 août 2015, pour les 70 ans de la fin du conflit et la commémoration de la capitulation de son pays, l’empereur Akihito quant à lui, marquant implicitement son désaccord avec Abe, exprima ses « profonds remords » concernant la seconde guerre mondiale. Puisse un président des États-Unis faire preuve un jour d’autant de courage et d’humilité que l’empereur Akihito,  et s’excuser des crimes de guerre commis dans l’Histoire de cette jeune nation au nom de son peuple, de son idée de la démocratie et de sa conception de la liberté.
Galil Agar

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