Cher Frédéric Lordon, bienvenue sur la liste noire de vos nouveaux amis « antifas » !

Un « antifasciste » trop zélé face à son pire ennemi
Suite aux déclarations de Frédéric Lordon concernant l’éviction d’Alain Finkielkraut de la place de la République, justifiant implicitement la violence « antifasciste » en général au nom du combat politique, nous avons eu à cœur de lui signaler que son nom était inscrit, aux côtés de ceux du Cercle des Volontaires, de Fakir, de François Ruffin, et de bien d’autres organismes et acteurs proposant des alternatives au fonctionnement politique actuel de la France, sur une liste noire diffusée par le site « antifasciste » Les Enragés. Nous souhaitons ainsi lui faire prendre conscience avec bienveillance et en toute sympathie, d’un effet pervers inévitable : la violence qu’il cautionne pour les autres pourrait à tout moment se retourner contre lui-même. C’est aussi une occasion de le renseigner, si besoin en était, sur la nature réelle de cet « antifascisme » dont la litanie s’accorde dans une pénétrante harmonie avec les intérêts prégnants de « l’oligarchie néolibérale intégrée », selon ses propres termes. 

Cher Frédéric,
Lors de la conférence « Nuit debout l’étape d’après » ayant eu lieu le mercredi 20 Avril 2016 à la Bourse du travail à Paris, vous avez eu le mérite de déterminer des objectifs clairs, à même de fédérer des citoyens venus de tous les horizons politiques de notre belle Nation (oups, un premier gros mot !) :

« Interdire les banques d’activité spéculative, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA, voilà un objectif. »

Seulement, cet ennemi-là n’était peut-être pas assez immédiat, trop ambitieux pour l’heure, et la foule présente avait besoin de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les banquiers de La Défense sont bien loin de la place de la République, et leurs buildings de verre trop protégés pour des âmes aussi vertueuses que celles de vos auditeurs d’alors. On court moins de risques à repeindre les distributeurs avoisinant le quartier général de la Nuit Debout. Plutôt que de réfléchir aux moyens permettant d’accomplir les nobles objectifs fédérateurs énoncés plus haut, emporté par la foule en délire qui buvait chacune de vos paroles, il vous a fallu désigner un adversaire intermédiaire à la mesure de leurs faibles ambitions. En attendant le Grand Soir où tous ces jeunes gens iraient occuper les sièges de Total et la Société Générale à la défense, tout près des quartiers populaires de Nanterre, vous avez désigné un ennemi plus accessible aux occupants des beaux quartiers de la place de la République :

 « le citoyennisme intransitif qui débat pour débattre mais ne tranche rien, ne décide rien et surtout ne clive rien. Une sorte de rêve démocratique cotonneux et inoffensif (…) Le démocratisme all-inclusive »,

avez-vous dit, ne manquant pas de faire rire la jeune assemblée pendue à vos lèvres. Vous me rappeliez alors ce cher Alain Finkielkraut, source de tous vos bons mots, parodiant Tocqueville lorsqu’il demandait à Jean-Claude Michéa dans le cadre de son émission de France Culture Répliques du 2 juin 2012, si en lieu et place des dévoiements contemporains du « libéralisme », la source des problèmes de notre société n’était pas plutôt le déploiement de la « démocratie généralisée » (24:06/52:20). Ce à quoi Michéa lui opposa la conception de la démocratie de George Orwell, dont vous brocardez pour votre part avec sarcasme la « faiblesse conceptuelle », la « négligence théorique » ou le « flou » de la pensée. Paradoxalement, en voulant sauver Nuit Debout contre Finkielkraut, vous rejoigniez Finkielkraut dans la division des forces convergeant dans la lutte contre le néolibéralisme, au nom d’une critique se voulant radicale de l’espérance  dans une démocratie réelle à venir. Vous interdisez de donner les moyens concrets de la réaliser. Vous êtes « de gauche » avant d’être « démocrate », et si le peuple, lui, dans sa grande majorité, ne partage pas votre vision de la société, qu’à cela ne tienne ! Quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple, disait Bertolt Brecht avec ironie. Par ce refus de dialoguer avec « l’ennemi », vous et Finkielkraut vous rejoignez dans l’adhésion à ce propos sans ironie, et dans la division des forces qui devraient converger dans la lutte pour la souveraineté nationale et populaire.

« la souveraineté s’assimile à la démocratie (…) c’est-à-dire le droit de délibérer et de décider de toutes les matières qui intéressent les politiques publiques tout le temps »,

avez-vous déclaré un jour avec raison à l’antenne de France Inter. Seulement, votre captation de la volonté de démocratie par le seul trône vertueux de « la gauche » moralisante exclut dans les faits la plus large majorité du peuple de ce « droit de décider ». Durant votre discours concernant l’après Nuit Debout, vous avez espéré ce jour glorieux où les médias se retourneront enfin contre vous, signe que vous serez parvenu à faire du mouvement autre chose que ce « rêve cotonneux et inoffensif » que vous dénoncez chez les partisans du « démocratisme ». « Il ne faudra pas redouter ce moment », disiez vous, « ce sera même un assez bon signe, le signe que nous commençons vraiment à les embêter ». Et vous avez touché là à un point chatouilleux du traitement médiatique de la Nuit Debout :

« A-t-on jamais vu mouvement sérieux de contestation de l’ordre social célébré d’un bout à l’autre par les médias organiques de l’ordre social ? »

En un sens, vous avez répondu vous-même à la question, lorsque vous en avez profité pour vous féliciter du travail du « service accueil sérénité » faisant « méthodiquement la chasse aux infiltrations » sur la place de la République. Vous avez justifié ces louanges par le procès que les médias feraient aux sympathisants du mouvement « de devenir rouge-bruns », si cette « chasse » permanente venait à perdre de sa vigueur. Par cette peur que les médias vous traitent de rouge-brun, Monsieur Lordon, c’est-à-dire qu’à terme, ils ne vous accueillent plus sur le plateau de France Inter pour parler de souveraineté, vous avez vous-même restreint le cadre de Nuit Debout à l’intérieur du cadre moral établi par ce jugement potentiel des médias sur vos intentions, ce jugement qui vous fait si peur et qui au final, détermine et conditionne les limites de toutes vos actions, comme vous l’avouez par cette justification :

« on comprend très bien que l’on ne va pas porter les revendications de refaire le cadre auprès des gardiens du cadre. On les chasse, et puis on le refait politiquement »,

avez-vous également déclaré à juste titre, précisant « que le cadre était fait précisément pour cela », c’est-à-dire, pour neutraliser toute action visant à aller dans le sens de la réalisation des revendications.

« S’il n’y a plus d’alternative dans le cadre, il y a toujours l’alternative de refaire le cadre, mais ça c’est de la politique, ce n’est plus exactement du revendicatif »,

avez-vous dit. Et nous ne pouvons que vous donner raison sur ce point Monsieur Lordon, en vous invitant à tenir compte de vos propres déclarations pour la cohérence interne de votre discours. Vous le dites vous-même, le cadre vous interdit de vous associer avec des souverainistes « de droite », ou tout bonnement, avec des souverainistes qui refusent de se cantonner à votre idée de « la gauche ». Le cadre vous refuse le droit de dire que le clivage entre la gauche et la droite est caduc, et que le véritable débat politique se joue désormais entre souverainistes d’un côté, et mondialistes de l’autre. Si vous le dites, il vous traitera également de « rouge-brun », et vous rangera aux côtés de tous ceux que vous disqualifiez d’office, par peur d’y être associé. Il vous rangera aux côtés d’Etienne Chouard, dont vous avez longtemps fait les louanges, avant de le jeter aux ordures avec un mépris propre à la caste universitaire, bien qu’il vous ait lui-même défendu lorsque vous avez subi les attaques absurdes d’un premier groupe « antifasciste », courant 2013. Vous l’avez jeté de peur d’être associé aux personnes avec qui il s’autorise de discuter franchement. Contrairement à vous, il refuse de s’interdire ce dialogue. C’est à dire que précisément, il s’autorise à sortir du « cadre ». C’est pour cela qu’il est ostracisé, et vous le savez, et en réalité, vous êtes mort de peur à l’idée d’être associé à cette courageuse et réelle sortie du cadre.

Mais détendez-vous Monsieur Lordon. Malgré tous vos efforts pour demeurer dans le cadre que vous dénoncez, le cadre, lui, vous rejette déjà peu à peu. Oh, pas par la plume des « chefferies éditocratiques » que vous dénoncez avec raison comme les gourous malfaisants de « la secte de l’oligarchie néolibérale intégrée », non, Monsieur Lordon. Le cadre mondialiste vous rejette par son « extrême-gauche », celle avec laquelle vous pensez pouvoir faire convergence contre les souverainistes qui refusent de s’enfermer dans votre idée de la gauche.
Ainsi, l’inénarrable site « antifasciste » Les Enragés, a fait de vous et de votre camarade François Ruffin, les ambassadeurs d’un dangereux « social-chauvinisme », qui ourdirait un dangereux complot fasciste par l’intermédiaire de Nuit Debout. L’un des arguments avancés étant que « la chasse aux infiltrations » que vous décrivez serait en réalité trop complaisante ! Il y a une justice quelque part entre le ciel et la terre, puisque vous êtes cité dans cet article en compagnie d’Etienne Chouard en personne, celui-là même que vous traitiez de « boulet » pour la réalisation de projet d’une constituante il y a encore quelques mois, alors que des accusations aussi absurdes que celles lancées par Les Enragés contre vous, il s’en prend dans la figure depuis des années. Vous êtes cité dans cette liste qu’on imagine non exhaustive en compagnie d’autres dangereux fascistes, j’ai nommé (tenez-vous bien) Gérard Filoche, Pierre Carles, Pierre Rabhi, Hervé Kempf, Cyril Dion, Eric Hazan, John Paul Lepers, Franck Lepage, ainsi que les dangereux comédiens Greg Tabibian et Franck Brusset… et des organes objectivement fascistes tels Attac, Acrimed, Arrêt sur images, le comptoir, les éditions La Fabrique, Kaizen, le mouvement BDS, Europalestine, La Revue du Mauss, Le Monde Diplomatique et même la CNT !!! Sans oublier, bien entendu, vos humbles serviteurs du Cercle des Volontaires.
Les références « intellectuelles » des Enragés en disent long sur leur programme. La revue Ni Patrie Ni Frontières est citée. Ni patrie ni frontières, ce pourrait être la devise de George Soros et de Warren Buffet. Une alliance objective entre mondialistes capitalistes et mondialistes « anticapitalistes » en somme. L’arme la plus puissante de « l’oligarchie néolibérale intégrée », vous le savez, c’est la dérégulation complète de la circulation des capitaux, des marchandises, mais aussi des personnes. Vous ne pouvez pas critiquer frontalement cette dernière, qui se manifeste par l’immigration massive légale et clandestine favorisant le dumping social exigé par les patrons des multinationales, fournissant une main d’œuvre docile et bon marché. Vous ne le pouvez pas, parce que vous savez que les « antifascistes » veillent, et qu’ils sont prêts, à tout moment, à vous accuser de racisme et à vous expulser vous aussi manu militari, si seulement vous osiez évoquer le sujet. C’est bien dommage, car vous aviez si bien décrit par le passé la mission dont la gauche est dépositaire, à savoir ne pas se laisser déposséder par le Front National des sujets d’importance, ne pas se laisser tétaniser par la menace de se faire traiter de « fasciste ».

Au lieu d’appréhender cette question complexe devant cette assemblée, comme vous l’aviez si bien fait ci-dessus, et de créer une brèche réellement révolutionnaire (la critique à gauche, non pas des immigrés, comme les antiracistes PS et antifascistes essaient de le faire croire, mais du système néolibéral qui organise structurellement cette immigration), vous vous aplatissez désormais devant ce chantage au fascisme en traitant d’ « identitaire » quiconque s’aventurerait à se poser ne serait-ce qu’en lui-même cette question. Contrairement à ce que vous pensez, vous n’êtes absolument pas en opposition frontale avec Finkielkraut sur ce sujet, puisqu’il a de longue date accompagné la progression de l’antiracisme institutionnel (il est toujours aujourd’hui membre du comité d’honneur de la LICRA). Vous critiquez

« les structures du néolibéralisme qui ont précisément pour effet et peut-être même pour projet de frapper d’impossibilité toutes ces revendications »

mais par ce chantage à la menace « identitaire », vous vous constituez vous-même en agent des structures du néolibéralisme, en agent de neutralisation des possibilités réelles du changement, et vous ne vous rapprochez de l’orthodoxie de votre clientèle du moment qu’au prix fort de l’éloignement de la réalité du monde des travailleurs, que vous n’avez, semble-t-il, jamais côtoyé de l’intérieur. Vous vous rendez, vous et tous ceux qui vous suivent, inoffensifs par ce chantage symétrique au chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut. En politique comme en sciences sociales, les mots sont importants. Si vous vouliez viser le chantage à l’antisémitisme de Finkielkraut, il aurait fallu dire « communautaire », et non « identitaire ». Mais vous ne le pouvez pas, car la politique communautariste est un des ingrédients majeurs du succès électoral de la Gauche dans certaines banlieues ostracisées. « Identitaire » et « communautaire » sont loin d’être synonymes. Le réduction à « l’identitaire » que vous effectuez vise justement toutes les critiques du communautarisme, insinuant que l’essence de ces critiques serait intrinsèquement raciste.
La question demeure : en définissant toutes les tentatives de résistance citoyenne et souverainiste au mondialisme comme « fascistes », les « antifascistes » en question ont-ils conscience de servir les intérêts du capital ? Plus grave encore, lorsque vous définissez le « citoyennisme » comme ennemi de la Nuit Debout dans vos discours, avez-vous conscience de faire un appel du pied à ce type d’ « antifascisme », et éventuellement de cautionner les violences physiques dont ses propagateurs pourraient être les auteurs, notamment à votre encontre, vous le « chauvin-socialiste » ? Vous qui tenez tant à « sortir du cadre », pourquoi vous enfermer dans la peur de cette accusation « rouge-brune » où tentent de vous enfermer les « chefferies éditocrates néolibérales » sur votre « droite », comme les antifascistes de cette sorte sur votre « gauche » ? Vous êtes trop intelligent pour ne pas comprendre que de telles condamnations ne visent qu’à neutraliser toute véritable entreprise de souveraineté populaire et nationale.
On sent bien que devant l’ampleur de la tâche essentielle que vous déterminez (interdire les banques d’activité spéculatives, neutraliser le pouvoir actionnarial, dégommer les traités assassins, les traités européens et le TAFTA), vous sentez votre auditoire attentif, mais impuissant. Aussi est-il plus facile de s’en prendre à l’ « unanimisme démocratique ». « Il faut mettre des grains de sable partout », dites-vous, en donnant un exemple édifiant : « débouler dans la nuit des débats d’Anne Hidalgo ». La perspective est moins ambitieuse que celle de prendre La Défense à l’assaut des banques d’activités spéculatives. Des grains de sable, vous en voulez « partout », sauf à Nuit Debout.
Laissez-moi vous dire une ou deux choses concernant la « menace fasciste » qui terrorise les « antifas » des Enragés, et que vous redoutez de voir se propager place de la République. Il est signifiant, concernant cette question, que vous ayez activement participé à la mise en place d’un « cordon sanitaire » à gauche, en compagnie notamment de Philippe Corcuff et de votre camarade du Monde Diplomatique Serge Halimi, visant à isoler Jean-Claude Michéa, qui critiquait pour sa part dans un entretien accordé à la Revue Ballast le 4 février 2015

« cet « antifascisme » abstrait et purement instrumental sous lequel, depuis 1984, la gauche moderne ne cesse de dissimuler sa conversion définitive au libéralisme. Bernard-Henri Lévy l’avait d’ailleurs reconnu lui-même lorsqu’il écrivait, à l’époque, que « le seul débat de notre temps [autrement dit, le seul qui puisse être encore médiatiquement autorisé] doit être celui du fascisme et de l’antifascisme ».

Il définissait par ailleurs dans cet entretien « le désastreux naufrage intellectuel de la gauche occidentale moderne » par

« son incapacité croissante à admettre que la liberté d’expression c’est d’abord et toujours, selon la formule de Rosa Luxemburg, la liberté de celui qui pense autrement. »

Ce qui circonscrit une grande partie des problèmes que posent vos positions récentes. Écoutez donc ce qui est peut-être la meilleure leçon à tirer d’un ministre en terme de politique intérieure dans l’histoire récente du « socialisme » français :

« Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, et donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste, aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste ».
https://www.youtube.com/watch?v=xY3jUuFBWIM

Ces mots sont d’un homme qui est bien placé pour témoigner, puisqu’ils ont été prononcés par Lionel Jospin dans l’émission Répliques de ce cher Finkielkraut (encore lui, décidément), le 29 septembre 2007. Comme disait ma grand-mère (référence ô combien réactionnaire et fascisante) les vieilles recettes font les meilleures soupes, et la soupe socialiste « antifasciste » des années Hollande n’a rien à envier aux potages mitterrandiens. Vous qui vous êtes spécialisé dans le commentaire philosophique de la dimension politique du concept de souveraineté, vous devez certainement vous souvenir de cette leçon inspirée d’une devise du sénat romain, que soufflait Machiavel à l’oreille de son Prince (pas le chanteur, l’autre…) : divide et impera, divise et tu régneras.

« Nous ne sommes pas amis avec tout le monde et nous n’apportons pas la paix », déclarez-vous.

Soit, reste à savoir à qui vous voulez faire la guerre et avec qui vous voulez la mener. Si vous décidez de la mener contre les souverainistes qui refusent de plier au chantage du monopole moral de « la gauche », avec la clique de cette sorte  « d’antifascistes » qui vous soupçonnera toujours d’être un « social-chauviniste » à la solde d’une cinquième colonne néonazie, libre à vous. Libre à vous de vous acharner comme dans la tragédie de Shakespeare (dont nous fêtons le 400è anniversaire) Hamlet, à vous confronter à des fantômes. Mais ne vous étonnez pas de trouver, hors des mouvements sociaux, peu de soutien dans le peuple, qui se fiche de vos guerres de chapelle, et dont la réalité diverge des petits cénacles de profs et de retraités remplissant les chaises des conférences d’ATTAC et de des Amis du Monde Diplomatique (qui font par ailleurs un excellent travail pédagogique qu’il n’est pas ici question de remettre en question). Vous ne pouvez pas reprocher au peuple de refuser d’adopter les œillères de la mafia syndicale de gauche qui l’a si souvent trahi et qui le trahit encore quotidiennement de manière éhontée. Comment votre camarade François Ruffin, si bien informé, dont nous ne doutons pas de la bonne foi, peut-il voir dans une « jonction » avec ces organisations syndicales un aboutissement de la convergence des luttes de la Nuit Debout ?

 
Le dépassement du « clivage gauche droite » est consommé depuis des lustres du côté de l’oligarchie. Énormément de Français, pour qui ce clivage n’a plus de sens, sont prêts à s’engager dans les luttes concrètes que vous proposez contre les banques d’activité spéculative, le pouvoir actionnarial, les traités assassins, les traités européens et le TAFTA. Ne gâchez pas ce potentiel par goût de l’entre-soi, pour le simple confort de conserver cette « remarquable homogénéité sociologique » que vous dénonciez avec justesse dans les manifestations de soutien à Charlie Hebdo.
L’idée la plus belle, la plus puissante et la plus intelligente qui ait émergé de la Nuit Debout, c’est celle d’une pratique vivante et permanente de la convergence des luttes. C’est elle qui fait peur à tous les esprits binaires, des « antifascistes » au Parti Socialiste, que l’idée de réconciliation véritable contrarie. Ne gâchez pas le potentiel de cette belle idée en vous trompant (volontairement ?) d’ennemi par facilité. Il est plus facile de légitimer le lynchage d’un homme seul avec sa femme depuis votre chaire, que d’aller occuper les vraies places du pouvoir. Vous pouvez me répondre qu’il n’est pas seul, qu’il a tous les médias (nous compris à en croire certains qui ne nous ont pas demandé notre avis…) derrière lui ; rien n’y fait, je ne marche pas. L’expulsion de Finkielkraut est un épiphénomène, et il n’y a pas de quoi vous en galvaniser. C’est une victoire ni pour lui ni pour vous. Elle piétine un peu plus les fondements de cette décence commune défendue par Orwell et Michéa qui suscite tant de sarcasmes de votre part, voilà tout.
Si vous voulez commencer à « vraiment embêter » les tenants de l’oligarchie, prônez une alliance de tous les souverainistes luttant pour le développement des conditions de possibilité d’une démocratie réelle et d’un retour à la souveraineté nationale. Vous verrez qu’effectivement, vous serez défini comme « rouge-brun », qu’effectivement, vous ne serez plus accueilli avec tant de mansuétude dans les studios de Radio France ou de France Télévisions, et que l’Express ne vous dira plus merci. Vous cherchez le signe qui vous dira que vous commencez vraiment à les embêter ? Tel sera ce signe. Tant que ce n’est pas le cas, ne vous étonnez pas que Monsieur Ruffin soit invité sur le plateau de Laurent Ruquier (en attendant ce jour, nous nous réjouissons que son discours puisse être médiatisé), et que la Nuit Debout fasse la Une de toute la grande presse capitaliste. Quand l’extrême gauche internationaliste et les éditocrates néolibéraux s’accorderont pour vous traiter de « fasciste », ce sera le signe qu’effectivement, vous commencez à inquiéter sérieusement « une ou deux personnes », comme vous en avez la légitime ambition. Mais cette vérité aura un prix Monsieur Lordon, et ce jour-là, ne vous étonnez pas de vous faire expulser manu militari des places publiques, avec autrement plus de violence qu’Alain Finkielkraut.
Dans l’espérance d’une convergence des luttes à venir assez judicieuse pour que ce qui nous unit demeure plus fort que ce qui nous divise,
Galil Agar.
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Pour aller plus loin :
Un excellent article de Frédéric Lordon lui-même, ironisant sur la chasse aux « conspirationnistes » (spécialité « antifasciste ») et sur le concept de complot : « Conspirationnisme : la paille et la poutre », 24 août 2012, La pompe à phynance, les blogs du « Diplo ».
Une synthèse assez drôle de cet article en images : https://www.youtube.com/watch?v=uJnAhGGdCjI
Tous les antifascistes ne sont pas à mettre dans le même panier ! Certains ont conscience que l’hystérie des membres les plus « zélés » de certaines de leurs branches desservent leur cause et servent le pouvoir en place, qu’ils entendent combattre. Avant de faire « la chasse aux infiltrations » dans toutes les strates de la société, ces antifascistes raisonnés balaient devant leur propre porte. Ils ont conscience que la mouvance antifasciste est elle-même noyautée par des agents provocateurs cherchant à les discréditer. Le CVIPMA, Comité de Vigilance contre les Infiltrations Policières dans le Mouvement Antifasciste, a longtemps effectué ce travail de manière remarquable. Le CVIPMA définit ainsi l’antifa légitime :

« L’antifa légitime est d’abord indépendant des idéologies et de leurs relais médiatiques. Il se méfie des abus de langage, des amalgames. Il combat le fascisme quand il se présente, et il combat les autres idéologies meurtrières et aliénantes pour ce qu’elles sont. Pas pour régler des comptes, pas pour servir l’ordre dominant à une époque donnée. C’est une posture critique et lucide, qui sait se garder des slogans et mythes de ceux qui se réapproprient l’antifascisme. Afin que ce combat ne dérive pas vers des objectifs de reproduction de l’ordre dominant, ni ceux de le réémergence d’idéologies aussi meurtrières qui appartiennent au passé. Ses principaux ennemis sont d’abord les faux antifas. Parce que le fascisme ne peut être combattu si on les laisse dénaturer cette cause. »

Deux articles très critiques sur les débouchés de la Nuit Debout d’Eric Verhaeghe, sur le site d’inspiration libérale Contrepoints.org :  « La nuit debout n’aime toujours pas les prolos », « Congrès de la CGT, Nuit Debout : la culture de la contestation sociale ».
Sur la Gauche et le protectionnisme en France : François Ruffin, Leur grande trouille, journal intime de mes « pulsions protectionnistes », Les Liens qui Libèrent, 2011.
Sur la souveraineté et la démocratie : Frédéric Lordon, La Malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Les liens qui libèrent,‎ 2014.
Sur le scepticisme exprimé par Lordon vis-à-vis du concept de « Common decency » de George Orwell réhabilité par Michéa : « Misère de la décence ordinaire ? », par Florian Gulli, mouvements.info.
Une critique sévère d’Imperium, l’un des derniers ouvrages de Lordon, par Philippe Corcuff, « libertaire » également critique envers Michéa, accusant Lordon de « confusionnisme » : « En finir avec le « Lordon roi ? » Les intellos et la démocratie », rue89.nouvelobs.com.
Autre critique très sévère d’Imperium : « Lordon ou le symptôme de la dégénérescence de la pensée critique », par René Berthier, militant du groupe Gaston Leval de la Fédération Anarchiste.

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