Charlie Hebdo ou la malédiction de Desproges-Zuckerberg

Je n’aime pas beaucoup Charlie Hebdo. Certes, je ne partage pas beaucoup de leurs idées, mais de telles divergences politiques ne m’empêchent pas d’apprécier le travail d’autres dessinateurs et artistes. Certes, je trouve certains de leurs dessins déplacés, mais cela ne me choque pas outre mesure, je ne suis pas du genre sensible à ce niveau. Non, si je n’aime pas beaucoup Charlie Hebdo, c’est tout simplement parce qu’en général, le journal ne me fait pas rire. Peut-être n’ai-je pas le bon sens de l’humour ; peut-être les auteurs ont-ils moins de talent qu’on le prétend.
Je n’aime pas beaucoup Charlie Hebdo, mais à vrai dire, leur dernière une représentant le chanteur belge Stromae ne m’a pas vraiment dérangé, pas plus que toutes les autres, d’ailleurs. Bien sûr, je peux aisément comprendre qu’elle ait choqué beaucoup de gens, à commencer par Stromae et sa famille. Il en va de même pour le dessin à propos du petit Aylan Kurdi, et pour bien d’autres encore. On a beaucoup reproché à la rédaction de Charlie Hebdo de manquer de compassion, voire de décence.
Et si le problème était ailleurs ? Il fut un temps où Charlie Hebdo publiait des dessins non moins choquants, mais en toute confidentialité. Les amateurs de « l’esprit Charlie » achetaient assidûment leur hebdomadaire, savouraient les dessins avec délice, rangeaient leur volume dans un tiroir et passaient à autre chose. Les autres n’en entendaient tout simplement jamais parler. Tout le monde était content. « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » et le tri se faisait naturellement.
Puis vint l’ère des réseaux sociaux. Soudain, les dessins étaient partagés, affublés de pouces approbateurs et de commentaires élogieux… ou pas. La nature des réseaux est ainsi : vos amis n’ont pas forcément les mêmes goûts et le même humour que vous, et c’est d’autant plus vrai pour vos connaissances distantes, sans parler de leurs connaissances à elles. Ainsi, à l’époque de Facebook, Twitter et Instagram, et a fortiori depuis que les attentats de janvier 2015 lui ont fourni (à grand prix) une notoriété internationale, Charlie Hebdo n’est plus l’affaire presque privée d’un petit groupe d’aficionados ; c’est un objet d’intérêt public et mondial.
Désormais, tout dessin potentiellement choquant se retrouve sous les yeux de gens qui seront choqués, voire indignés, ou même meurtris. Et ceux-ci ont souvent pour réaction de manifester leur effroi en ajoutant au dessin un commentaire, avant de partager le tout. Ce faisant, ils placent toutes leurs relations face à ce dessin, ce qui a d’autant plus de chances de causer les mêmes réactions que leurs commentaires les pré-conditionnent en ce sens. Le seul résultat concret est le partage et la prolifération du choc, de l’indignation, voire de la douleur.
Alors, la prochaine fois que vous rencontrez un dessin de Charlie Hebdo (ou d’un autre journal) et qu’il vous heurte, avant d’exprimer vos sentiments et d’envoyer le tout à vos amis, demandez-vous si cela en vaut bien la peine, et si une telle action ne risque pas d’engendrer plus de mal que de bien. Peut-être est-il préférable de retenir l’avertissement de Pierre Desproges à l’ère de Mark Zuckerberg, et de répondre par l’indifférence.
Ou alors, par l’humour :

 
Alexandre Karal
Cet article Charlie Hebdo ou la malédiction de Desproges-Zuckerberg est apparu en premier sur Cercle des Volontaires.