Est-il raisonnable de s’identifier avec Charlie?

Note de la rédaction: ce texte est un extrait du livre compilé par le Dr. Kevin Barrett sur les attentats de Charlie Hebdo, intitulé « We Are Not Charlie Hebdo!« . Ce livre est en cours de traduction en français pour être disponible dans notre langue, et nous vous en livrons quelques extraits choisis qui nous semblent, non pas plus pertinents que les autres, mais particulièrement digestes dans leur format issu de ce livre, pour votre lecture sur ce site. Ce texte est de la main de John Cobb, Jr., qui est professeur émérite à la Claremont School of Theology aux USA, ministre en sacerdoce de l’Église Méthodiste Unifiée et auteur de plusieurs ouvrages sur la vie du croyant à l’époque moderne. Vous souhaitant, comme toujours, bonne lecture. Lawrence Desforges
Ma réponse directe est un clair et sonore, NON! Pour ma part, j’affirme que « Je ne suis pas Charlie« .

Cela veut-il dire que j’ai de la sympathie pour les assassins? Non, en aucun cas, qui qu’ils soient. Mais pourquoi demander? Il y a beaucoup de victimes de crimes avec lesquels il est possible de s’identifier avec force. Je pourrais fortement m’identifier avec le Dr. [Martin Luther] King, qui fut assassiné. Certains semblent croire que Charlie a essuyé un attentat parce que c’était un modèle d’héroïsme qui apportait son soutien aux faibles contre leurs oppresseurs, et dévoilait les faux-semblants et le mal, où qu’il se trouve. Si j’étais d’accord, alors bien sûr, je serais heureux de me joindre à ceux qui proclament: « Je suis Charlie ». Mais la réalité est toute autre. L’Islam et les Musulmans ne sont pas la puissance oppressante en France. C’est une minorité impopulaire qu’il est loisible de railler avec impunité.

Même des images esthétiquement belles et délicates de Mohammed sont offensantes pour de nombreux Musulmans. Ils croient que les images doivent être évitées dans leur ensemble. Ils lisent l’interdiction par Moïse des images gravées comme une interdiction des images en général. Et tandis que les Chrétiens possèdent des images peintes de Dieu Lui-même, les Musulmans ont observé l’interdiction des images.

La majorité des Chrétiens pense que nous devons respecter les sentiments de ceux qui pratiquent d’autres formes de foi. De plus, nous devons faire particulièrement attention aux sentiments des minorités qui n’ont pas les moyens de se défendre. Nous pouvons défendre les droits des abuseurs à abuser, mais cela ne devrait pas nous amener à nous identifier avec eux.

Certains semblent considérer que l’usage de l’humour est une grande vertu, quel que soit l’objet de l’hilarité et qu’il existe ou non une justification à cet humour. User de cet enthousiasme pour l’humour comme base d’une identification avec Charlie présume que les dessin de Mohammed soient drôles. Il est possible que certains des dessins de Charlie soient amusants. Je ne les ai assurément pas tous examinés. Mais beaucoup ne le sont pas.

Que dire du dessin montrant Mohammed embrassant un autre homme? Qu’y a-t-il de drôle là-dedans? Quel concept peut être développé, qui soit si important que l’on en vienne à blesser autant les sentiments de tant de gens? Une image de David embrassant Jonathan pourrait servir un quelconque but, bien que tout gain potentiel se verrait sapé par sa description comme la chute d’une blague. Autant que je le sache, il n’existe aucune base pour supputer que Mohammed ait pu être homosexuel. Donc où est l’humour à le dépeindre ainsi? Et même s’il était gay, où est l’humour?

Est-ce que je pense que des gens devraient être tués parce qu’ils insultent et ridiculisent des groupes minoritaires? Non. Est-ce que je veux des lois plus strictes encadrant de tels sujets? Non. Mais est-ce que je m’identifie avec cette cruelle vulgarité et cet abus des faibles? Non. Et je suis horrifié de voir des millions de gens le faire.

L’ironie va encore plus loin. Dans le sillage de cet événement, les Français limitent la liberté d’expression. Ils arrêtent toutes sortes de gens, surtout des Musulmans, sur des soupçons, tout comme nous le faisons ici [aux USA, NdT]. Il n’y a plus besoin de preuves de malversations. La culpabilité par association suffit. L’identification de masse avec Charlie semble venir en soutien des efforts anti-musulmans de Charlie, mais pas de la liberté d’expression ou de la règle du droit.

Depuis ce glorieux défilé « pour la liberté d’expression », la France a officiellement ouvert cinquante-quatre procédures judiciaires pour « apologie du terrorisme ». L’agence d’informations Associated Press a rapporté que « la France a ordonné aux Procureurs du pays de sévir contre les paroles d’incitation à la haine, d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme. » Anecdotiquement, un comédien s’est fait arrêter pour ses commentaires sur Facebook. Apparemment, la célébration de l’humour a ses limites en France.

Maintenant, beaucoup de lecteurs qui auront au moins jusqu’ici reconnu que je n’ai pas tort ne voudront peut-être pas lire plus avant. Ils peuvent reconnaître que leur enthousiasme en faveur de la liberté d’expression a été utilisé dans des buts qu’ils réprouvent. Ils ne sont peut-être pas d’accord avec ma relation de l’histoire, mais ils reconnaîtront sans doute que je soulève des points valables.

Toutefois beaucoup, qui pourraient être en accord dans d’autres conditions considéreront qu’il n’est pas raisonnable de mettre en doute la véracité de l’histoire qui a porté ces conséquences. S’il importe pour vous de croire que vos journaux et vos gouvernements vous disent globalement la vérité, alors je vous laisserai à vos vérités. Ne lisez pas plus loin. Le reste de ce billet risque de vous choquer. Il a été rédigé par ceux qui sont ouverts à la possibilité que la « notoriété publique » est sujette à la manipulation, même si la remise en question de son exactitude est décrite comme une « théorie de la conspiration ».

Lorsqu’un événement se produit qui est vite monté en épingle pour justifier de nouvelles politiques, ou pour ôter des obstacles à des voies d’action rapidement engagées, ma première question est « cui bono?« , ou « qui en profite? ». Clairement, pas les défenseurs de la liberté d’expression se faisant prétendument célébrer. Clairement, pas la communauté islamique. Apparemment, il s’agit plutôt de ceux qui préconisent un contrôle plus strict de leurs citoyens et des politiques étrangères plus militantes, justifiées par un amalgame assez net, fait entre l’Islam et le terrorisme.
Si c’était là ma seule raison d’avoir des soupçons, je les garderais pour moi. Mais je trouve le récit officiel intrinsèquement improbable. Je suis troublé que ces commentateurs critiques qui sont en position d’influencer l’opinion publique soulèvent si peu de questions.

Considérez le cours des événements tels qu’ils ont été rapportés. Trois hommes, dont l’identité était soigneusement dissimulée par leurs vêtements, ont tué plusieurs employés de Charlie. Ils sont considérés comme possédant des aptitudes professionnelles. Cependant, ils ont laissé derrière eux une preuve incontestable de leur identité, si bien qu’aucune enquête n’a été nécessaire. La police les a immédiatement pris en chasse, et les a tués où elle les a trouvés. La police sait que personne d’autre n’était impliqué; donc aucune enquête n’est nécessaire. L’unique fonctionnaire engagé dans l’enquête s’est suicidé.

Cette suite d’événements est très différente de ce à quoi je me serais attendu si, effectivement, trois Musulmans avaient attaqué Charlie en y tuant plusieurs personnes. S’ils avaient été des tueurs professionnels, ils auraient rendu leur piste difficile à suivre. L’identification des suspects aurait pris du temps. Les suspects auraient été appréhendés et interrogés. Un sujet de la plus haute importance à traiter aurait été de découvrir le réseau plus vaste de conspirateurs auquel les coupables appartenaient. L’enquête ne se serait pas terminée sur un simple « suicide ».

Bien entendu, la divergence entre ce qui s’est passé et ce que je pense qui aurait pu se passer si trois Musulmans avaient commis ces meurtres ne prouve rien. Toutes les incohérences de ce genre pèsent moins lourd dans les esprits de beaucoup de gens que l’autorité du gouvernement, de la police et des médias français. Attirer l’attention sur les incohérences démontre un penchant pour la « théorie de la conspiration », et ce penchant est réputé pour être malsain, ou pire. Les gens comme moi ne devraient pas troubler la paix.

Alors qu’est-ce que je fais là, à brailler? Je suis fatigué de voir les feux de l’islamophobie se faire attiser pour justifier l’érosion des libertés humaines et des politiques impériales vicieuses. Je suis las de voir des gens sincères et de bonne volonté se faire berner encore et encore, et de voir leurs réactions saines être exploitées à des fins malsaines.

Il se trouve que dans ce cas, il existe un élément de preuve contredisant le récit officiel que même les plus crédules peuvent prendre au sérieux. Très vite après l’événement, une vidéo a été diffusée au cours de laquelle les tueurs sont montrés en train de mener l’assaut contre Charlie. Un peu plus loin, une scène a été retirée de la vidéo. Il s’agit d’une scène dans laquelle un assaillant a apparemment tué un agent de police. Nous voyons le tir à bout portant et le policier tomber sur le trottoir. « Voir, c’est croire. » Aucune autre preuve n’est nécessaire!

Ceci étant dit, après un examen minutieux de la scène effacée, il est évident que la balle (ou plus probablement une balle à blanc) frappe inoffensivement le pavé, et que le policier n’a aucunement pris cette balle. Puisque des copies en ont été faites avant qu’elle ne soit effacée des diffusions officielles, ceux qui sont intéressés peuvent examiner cette vidéo pour eux-mêmes. Je considère que son effacement de la vidéo pour des raisons officielles vient en appui de ma description de ce qui s’y voit.

Imaginons que je persuade les gens de ne pas croire tout ce qu’ils entendent venir de leur gouvernement et de leurs médias pour argent comptant. Quel bien pourrait-il en ressortir? Très peu, j’imagine. Mais si nous pouvions générer un désir pour des investigations sérieuses d’actes terroristes présumés, et s’il s’avérait que des éléments de gouvernements nationaux dans des pays non-islamiques étaient impliqués dans beaucoup d’entre eux, les gens accepteraient peut-être moins passivement d’abandonner leurs libertés et de soutenir l’impérialisme global. Et ce serait une avancée significative.
Traduit par Lawrence Desforges
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