Retour aux années ’30 – Hitler, Daesh et l’Occident

Le chef de l’état français Philippe Pétain rencontre le Chancelier allemand Adolf Hitler à Montoire-sur-le-Loir en France, le 24 octobre 1940 – photo str/AFP
Note du traducteur : ceci est une tribune parue sur le site web de RT (lien en fin d’article) en anglais, de la main d’un citoyen britannique. Elle expose donc un point de vue anglais mais il nous a semblé que l’analyse historique, au delà des déclarations politiques et médiatiques, méritait d’être lue en français; nous vous en souhaitons bonne lecture.

Bien que Daesh (l’État Islamique) soit fréquemment comparé aux Nazis, la réelle analogie – la volonté de l’Occident de faire monter le fascisme pour paralyser la Russie – est souvent ignorée.
Le récent débat à la Chambre des Communes sur le bombardement de la Syrie a vu les comparaisons foisonner. « Daesh, ce sont les fascistes de notre temps, » a dit le député du Labour Dan Jarvis; « c’est la guerre fasciste de notre génération », a renchéri Sarah Wollaston; tandis que Hilary Benn mit un terme aux discussions en expliquant que « nous sommes confrontés à des fascistes » et « ce que nous savons des fascistes, c’est qu’il doivent être anéantis. »
Les analogies sont valables: la vision politique mondiale du Wahhabisme – l’idéologie de Daesh, al-Qaeda, et du premier acheteur d’armes du Royaume-Uni, l’Arabie Saoudite – a effectivement beaucoup de choses en commun avec celle d’Hitler et de Mussolini.
Essentiellement, le fascisme européen a été une réaction émotionnelle à l’humiliation nationale aux mains des prétendues « Grandes Puissances » – défaite militaire dans le cas de l’Allemagne, et déni des fruits de la victoire dans celui de l’Italie. Les fascistes ont imputé cette humiliation à un ennemi intérieurdont la présence corrompait la nation et sapait sa force, et qui devait donc être purgé avant que puisse se produire le renouveau. Nous connaissons tous le programme politique qui en a découlé.
Similairement, à la fin du XVIIIème siècle, l’Empire Ottoman – qui juste un siècle auparavant était allé ‘jusqu’aux portes de Vienne’ – entrait lui aussi dans une phase de déclin. L’inventivité militaire européenne devenait pratiquement inatteignable, et une série de défaites aux mains de la Russie amena beaucoup de sujets ottomans à se demander ce que cachait leur apparente faiblesse militaire.
Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, un prêcheur sunnite radical du désert du Nejd au centre de l’Arabie leur fournit une réponse: les Musulmans étaient punis de leur éloignement de l’Islam authentique. En particulier, la présence de sectes rivales telles que le Soufisme et le Chiisme – qui, plaidait-il, ne comptaient même pas comme Musulmans – affaiblissaient la puissance musulmane. Sa force ne pouvait être restaurée que par leur élimination du sein du Califat – avec celle de tous les Sunnites qui ne seraient pas d’accord.
C’est cette ligne de pensée qui anime les exécutions sans nombre de Yézidis, d’Alaouïtes, de Chrétiens et d’autres aux mains des disciples contemporains d’Ibn Abd al-Wahhab. Tout comme le fascisme, le Wahhabisme est une politique de force par le biais d’une purification ethno-idéologique.
Mais ce n’est pas toute l’histoire. Ni le fascisme ni Daesh n’ont tiré leurs forces de la seule motivation de leurs combattants – l’essor des deux est plutôt inextricablement lié à la réaction du monde occidental à ses propres crises économiques et géopolitiques.
Dans les années 1930, le fascisme était considéré beaucoup plus favorablement que la déclaration de Benn selon laquelle « l’ensemble de cette Chambre s’est dressé contre Hitler et Mussolini, » ne nous le laisse croire. « Qu’a donc fait Hitler, en toute raison, dont nous ayons à nous plaindre? » demandait le député Tory CT Culverwell en 1938, un an après la dévastation de Guernica par la Luftwaffe.
Trois ans plus tard, Mussolini envahissait l’Abyssinie. Ayant eu mot de l’invasion imminente, le Premier Ministre du Labour Ramsay MacDonald écrivit à Il Duce pour l’aviser que « l’Angleterre est une dame. Le goût d’une dame est celui d’une action vigoureuse de la part du mâle, mais elle aime que les choses soient faites discrètement – pas en public. Ayez donc du tact, et nous n’aurons aucune objection. » Ces opinions n’étaient pas inhabituelles; ainsi que l’a noté l’historien J.T. Murphy, « Ce fut flagrant qu’aucun gouvernement du monde capitaliste ne tremblât d’appréhension à l’arrivée de ce nouveau pouvoir (le Fascisme). Les conservateurs du monde entier l’accueillirent avec enthousiasme, et il n’y eut pas un Tory qui, alors qu’il approuvait la méthode de gestion du ‘problème du travail’ d’Hitler et de Mussolini, n’ait pas été confiant que, dans les arrière-salles de la diplomatie, il ait pu conclure un accord avec le nouveau champion anti-bolchévique. »
Sir Stafford Cripps, l’ambassadeur britannique en URSS pendant la Seconde Guerre Mondiale, releva à propos de l’entre-deux-guerres que « tout au long de cette période, le facteur majeur de la politique européenne a été l’utilisation successive par la Grande-Bretagne… de divers gouvernements fascistes pour contrer le danger et la puissance, ainsi que l’essor du communisme et du socialisme. » Hitler, en particulier, était vu comme un rempart contre l’Union Soviétique, et a pour cette raison été soutenu par les élites US et britanniques tout au long des années 1930.
Il en est de même pour Daesh. L’Occident et ses alliés régionaux ont dès le départ été les supporters, les mécènes et les armuriers de l’insurrection wahhabite en Syrie: non pas en dépit de sa nature sectaire, mais à cause de celle-ci. Un document récemment déclassifié de la Defense Intelligence Agency aux USA, datant de 2012, a révélé que le Pentagone était parfaitement conscient de la nature des forces qu’ils étaient en train de soutenir, notant que « les Salafistes [sic], les Frères Musulmans, et AQI [al-Qaeda en Irak, le précurseur de Daesh] sont les principales forces qui alimentent l’insurrection en Syrie. »
Le même rapport prédisait l’instauration d’une « principauté salafiste [wahhabite] » mais ajoutait que ceci était « exactement ce que veulent les puissances [définies comme « l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie] qui soutiennent l’opposition. » Bien entendu, rien de tout cela ne fut dévoilé à l’époque – tout comme Hitler a reçu un soutien précoce de la part du Daily Mail et du Daily Mirror, la presse occidentale essayait encore de convaincre le monde que les rebelles syriens étaient de vaillants guerriers de la liberté, combattant pour l’égalité et la démocratie.
Photo Ammar Abdullah – Reuters
Toutefois, le soutien que reçut Hitler ne fut pas que rhétorique. La London Stock Exchange Gazette publia en mai 1935 que « Sans ce pays comme centre de paiements et la possibilité de tirer des emprunts… l’Allemagne n’aurait pas pu poursuivre ses plans… À plusieurs reprises, l’Allemagne a fait défaut sur ses obligations, publiques comme privées; mais elle a continué à acheter de la laine, du coton, du caoutchouc et du pétrole jusqu’à ce que ses besoins soient satisfaits, et le financement est passé, directement ou indirectement, par Londres… » En effet, le financement britannique de la machine de guerre allemande fut si important que le capitaliste allemand et financier nazi Hjalmar Schacht souligna après la guerre que « Si vous voulez traduire en procès les industriels qui ont aidé l’Allemagne à s’armer, ce sont vos propres industriels que vous devez traduire en procès. »
Daesh, pareillement, a été généreusement financé par l’Occident. Les seuls USA ont directement fourni bien au delà d’$1 milliard de soutien militaire à l’insurrection syrienne sous la forme de formation de troupes et d’armement, dont une grande part a atterri entre les mains de Daesh. Et, en termes de flux financiers, il est probable que Londres ait joué un rôle significatif. La banque britannique HSBC a plusieurs fois été prise à partie par des Sénateurs US à propos de sa relation avec le principal bras financier d’al-Qaeda en Arabie Saoudite, tandis que le Ministre des Finances français Michel Sapin, lors de l’annonce le mois dernier de nouvelles mesures contre le financement du terrorisme, a spécifiquement cité la City de Londres et demandé au monde d’être « vigilant » vis-à-vis de la Grande-Bretagne, au regard de sa réputation. Alex Salmond, ancien leader du Scottish National Party a déclaré au Parlement que « À chaque fois que j’interroge le Premier Ministre sur [la rupture du financement de Daesh], il me dit qu’il participe à un comité. Pendant deux ans, nous n’en avons rien entendu. Rien, ou presque, n’a été fait pour interrompre le flux de fonds et pour identifier et arrêter les institutions sans lesquelles Daesh n’aurait pas pu lever le petit doigt ou faire quoi que ce soit. »
Mais pourquoi? Pourquoi, à l’époque, la Grande-Bretagne était-elle si désireuse de financer Hitler et est-elle, aujourd’hui, si réticente à sévir contre le financement de Daesh? Les Nazis ont été soutenus, comme nous l’avons vu, comme rempart contre le communisme, et particulièrement comme une force à être lancée à l’assaut de l’Union Soviétique. L’insurrection terroriste en Syrie, entretemps, a été vue par l’Occident comme un moyen de mutiler un état indépendant doté d’une politique étrangère et monétaire indépendante – et par la même occasion, de miner ses alliés l’Iran et, une fois de plus, la Russie. Dans les deux cas, la cible ultime était la Russie, et par extension l’ensemble du projet géopolitique non-occidental dont la Russie était, et est un acteur principal.
À partir de là, quelles leçons peuvent être tirées de l’expérience des années 1930-40? Quelles politiques la Russie devrait-elle suivre face au fascisme/terrorisme sponsorisé par l’Occident?
Il y avait trois aspects centraux dans la politique russe anti-fasciste pendant les années 1930 – chacun d’entre eux correct, selon moi, et chacun porteur de leçons claires pour aujourd’hui.
Tout d’abord, l’URSS avait très bien compris que le fascisme dépendait d’un soutien étranger, et essaya d’en faire cesser l’Occident. Des offres de « grande alliance » étaient constamment mises en avant à destination de la Grande-Bretagne et de la France. La France, en particulier, sembla « fléchir » dans son engagement en faveur du fascisme allemand, pour des raisons évidentes, et un effort appuyé fut engagé pour attirer la France dans une telle alliance – avec un certain degré de réussite (le pacte franco-soviétique de 1935). La Grande-Bretagne était davantage une cause perdue, mais le spectacle du refus persistant par la Grande-Bretagne d’une alliance anti-fasciste servit au moins à trancher à travers la rhétorique et à exposer la réelle attitude du gouvernement britannique envers le fascisme. Tout ceci s’applique au terrorisme wahhabite d’aujourd’hui comme au fascisme d’alors.
Ensuite, si la Russie n’a pu persuader l’Occident de cesser de soutenir le fascisme, elle a agi pour le défaire elle-même militairement. Une fois que l’Allemagne et l’Italie aient clairement exprimé leur intention de ne pas respecter les accords de non-intervention agréés par la Ligue des Nations dans la guerre civile espagnole, l’URSS a agi d’elle-même pour écraser le soulèvement fasciste. De la même manière, dès qu’il est devenu clair que l’Occident n’allait pas respecter la souveraineté syrienne, la Russie a agi pour écraser l’insurrection wahhabite directement.
Cependant, le réel coup de maître de la diplomatie soviétique pendant cette période – qui allait en définitive permettre à la Russie de vaincre l’Allemagne – a été le pacte Molotov-Ribbentrop. Accomplir ce qui semblait impensable – un traité de paix avec Hitler – a non seulement donné à la Russie du temps pour se préparer à la guerre, mais a séparé Hitler de ses anciens mécènes britanniques, français et étasuniens. Il garantissait que la Russie ne se battrait pas seule au moment venu, et ne combattrait pas un adversaire encore soutenu par l’Occident.
Je ne suggère pas ici un traité de paix avec Daesh (bien que les agissements de la Russie pour diviser les insurgés et en amener autant que possible autour d’une table soient louables); il est trop tard pour cela. Ce serait comme négocier un traité de paix avec Hitler en 1943. Le pacte Molotov-Ribbentrop reposait sur le principe que l’alliance entre le fascisme et l’Occident devait être rompue, et donc que si l’Occident ne pouvait être arraché au fascisme, alors le fascisme devait être arraché à l’Occident.
De la même manière, l’alliance entre le terrorisme wahhabite et l’Occident doit être rompue. En termes pratiques, les principaux sponsors étatiques du Wahhabisme – l’Arabie Saoudite, les États du Golfe Persique et la Turquie – doivent être tirés hors de l’orbite de l’Occident. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire: Erdogan a placé ses mises avec l’OTAN, et l’Arabie Saoudite est pratiquement, dès le départ, une création de l’Empire Britannique. Pourtant, leurs dirigeants ne peuvent être aveugles au fait qu’il n’y a pas d’avenir à rattacher leurs wagons à celui de l’Occident, en flammes. Dans cette voie-là ne se trouve que destruction – et cela devient de plus en plus clair, de jour en jour, que l’Occident pousse la Turquie en position de première ligne dans une conflagration de plus en plus étendue avec la Russie. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Turquie. Le réel intérêt des Turcs, et aussi des Saoudiens – comme de toute l’humanité, au bout du compte – repose dans leur réalignement avec le Sud global et les BRICS, plutôt que de continuer à agir comme les agents de leur propre destruction: dès l’instant où ils s’en rendront compte eux-mêmes, et réalignent convenablement leur diplomatie, les jeux de guerre de l’Occident seront terminés.
Par Dan Glazebrook
Dan Glazebrook est un auteur politique indépendant qui a écrit pour RT, Counterpunch, Z Magazine, the Morning Star, the New Statesman, the Independent et Middle East Eye, entre autres. Son premier livre « Divide and Ruin; The West’s Imperial Strategy in an Age of Crisis », « Diviser et Détruire: La Stratégie Impériale de l’Occident dans un Âge de Crise » a été publié chez Liberation Media en octobre 2013. Il comprend une collection d’articles écrits à partir de 2009, examinant les liens entre l’effondrement économique, l’émergence des BRICS, la guerre contre la Libye et la Syrie et « l’austérité ». Il fait actuellement des recherches pour un livre sur l’usage US/britannique d’escadrons de la mort sectaires contre des états indépendants et des mouvements politiques de l’Irlande du Nord et l’Amérique Centrale dans les années 1970 et 1980 au Moyen-Orient et en Afrique aujourd’hui.

Traduit par Lawrence Desforges
Source: https://www.rt.com/op-edge/327008-daesh-hitler-west-help/
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